C’est marrant comment quelques petits détails – mais vraiment tous petits petits – peuvent parfois brider un plaisir. Parce que oui, alors que je suis en train d’écrire cette critique et que je passe en revue ce que j’ai retenu de cet « Avril », je suis moi-même étonné du nombre de compliments que j’ai à faire à ce film. Visuellement je suis très fan de l’univers dessiné par Tardi. De même, j’adore le pitch de départ que je trouve super excitant : se lancer dans une sorte d’uchronie dystopique où le monde des années 1930 est resté bloqué sur les progrès de la vapeur, moi je dis juste « Mais quelle idée ! » Enfin, quand je fais le bilan du propos avancé par le film, je le trouve plutôt malin et appréciable. Bref, que du bon… Et pourtant, quand je me pose face à mon propre sentiment à l’égard de ce film, je me dis que je l’ai certes aimé, mais vraiment sans plus. Je ne me suis pas trop ennuyé (un peu au début, plus du tout à la fin), plusieurs fois je me suis émerveillé d’une idée ou d’un visuel, et malgré tout je ne ressens pas pour autant un enthousiasme transcendant à l’égard de cet avril… Et c’est là qu’entrent en jeu les fameux petits détails… Tout d’abord – et cela pourra paraître con – mais j’ai clairement été freiné par les limites techniques du film. L’animation est très saccadée et les décors sont la plupart du temps bien rigides. Souvent ça ne me dérange pas pour d’autres dessins-animés, mais pour ce film, si. Le problème c’est que cet « Avril » a clairement fait le choix de l’aventure. Les scènes de poursuite ou d’exploration sont assez nombreuses et calquent leur orchestration sur ce qui se fait ailleurs. Ça cherche donc à être dynamique, mais la rigidité de la technique employée dans ce film ne le permet pas. Certes, cela n’empêche pas les beaux décors, les beaux univers et les belles idées, mais la réalisation choisie est, pour moi, en inadéquation totale avec la technique utilisée, d’où l’impression que j’ai eu d’avoir toujours un film visuellement poussif. Autre détail qui cloche à mes yeux – et c’est encore un détail technique – c’est les choix graphiques qui ont été opérés pour les personnages. Alors certes, on retrouve les traits caractéristiques de la patte de Tardi, et en cela beaucoup ne remettraient du coup pas du tout en cause ce choix visuel là. Seulement voilà, je le trouve – une fois de plus – totalement inapproprié à l’univers et à l’intrigue. Ce trait simplifié donne un petit côté gentillet et cartoon à cet univers alors que tout l’environnement qui entoure les personnages est au contraire assez subtil, sombre et anxiogène. Parfois, réunir deux opposés donne quelque-chose de très intéressant, là je n’ai pas trouvé que ce fusse le cas. La plupart du temps, les dialogues et l’intrigue sont très premier degré, adoptant un ton tragique, ce qui ne passe pas au travers de personnages aux traits aussi simplifiés et gentillets. Dans un univers plus déluré, plus foufou, avec des situations plus excessives, ce choix visuel aurait marché. Là c’est un mur inexpressif à travers lequel les émotions et les subtilités des comédiens de doublage ne passent pas. Et puis voilà, le problème aussi avec des traits aussi simplistes, c’est que lorsque le film est projeté sur grand écran, on se retrouve parfois avec une grosse masse uniforme, sans subtilité de trait ni de lumière, animé à deux images par seconde, ce qui renforce le caractère pauvre de l’expérience visuelle (
moi perso, la scène de fin avec la bataille de lézards m’a donné davantage l’impression d’assister à un épisode d’une série lambda de Gulli plutôt qu’à un film destiné au cinéma
). Et enfin, dernier détail à la con mais non des moindres : l’intrigue et l’univers visuel manquent clairement de richesse et de subtilité dans la première moitié du film. Parfois c’est creux, il n’y a pas forcément de plaisir à balader son regard à droite à gauche ou bien à écouter les ressorts scénaristiques de l’intrigue plus que basiques (
et puis bon… Cette histoire de sérum miracle, je trouve ça vraiment super super cheap en terme d’idée, ce qui est triste au regard de l’originalité magnifique de l’univers ici proposé…
) C’est vraiment bête, mais j’ai l’impression que cet « Avril » a davantage été pensé, par rapport à son visuel et à son rythme, comme une BD animée bien plus que comme un film… Mais bon… Tous ces petits détails parasitent le film, c’est vrai, mais surtout en son début. Les soucis techniques, on en fait vite le deuil, et comme l’histoire s’emballe plutôt pas mal sur le final, offrant un univers assez décalé et assez inventif, ça passe quand même plutôt bien. Au final, je garde donc une bonne impression de cette « Avril », c’est vrai. Mais je ne vous cache pas qu’intérieurement, je pleure le pur bijou que ce film aurait pu devenir et qu’au final il n’est pas…