Les souvenirs, un film de mots et de maux
Dans la vie d’un cinéphile, il n’est pas rare de se retrouver dans une salle obscure et d’en ressortir quelques heures plus tard, conquis. Les Souvenirs fait partie de ces films qui vous emportent très vite dans un tourbillon d’émotions, et dont vous ressortez complètement groggy. Brillante adaptation du roman éponyme du très apprécié David Foenkinos, Les Souvenirs est le troisième long-métrage de l’acteur Jean-Paul Rouve, de plus en plus convaincant comme réalisateur. Le film avait déjà secoué le Festival d’Angoulême en août et était présenté cette année au FIFF.
Romain a vingt ans, il voudrait devenir écrivain pourtant, il travaille comme veilleur de nuit dans un hôtel. Son grand-père vient de rendre son dernier souffle, laissant sa grand-mère et complice dévastée. Son père, Michel, qui n’a jamais vraiment assumé ce rôle, vient de partir à la retraite, il feint de ne pas s’en soucier et pourtant sa vie est désespérément vide. Sa mère, elle, respire la joie de vivre, cependant sa relation avec son mari est loin d’être au beau fixe. Romain vit dans un petit appartement avec son coloc, Karim, qui ne pense qu’à une seule chose : séduire une fille. Tout ce petit monde faussement paisible va se retrouver ébranlé lorsque Michel va prendre la lourde décision, d’envoyer sa mère en maison de retraite. Parmi tous ces vieux, Madeleine ne trouve pas sa place et attend avec impatience les visites de son petit-fils avec qui elle se sent elle-même le temps de quelques heures… Un jour, Madeleine n’en peut plus et prend un train direction Etretat, l’endroit où elle a grandi. Romain se lance alors à sa recherche remontant le fil de ses souvenirs, allant de découverte en découverte sur lui-même comme sur les autres, et trouvant même le chemin de l’amour.
D’abord et avant tout, Les Souvenirs c’est un hymne au temps qui passe : à la jeunesse, à la vieillesse et à ce qu’il y a entre les deux. Jean-Paul Rouve a réussi le tour de force d’adapter le onzième roman tant apprécié de Foenkinos, avec l’aide de l’auteur lui-même. Les deux hommes donnent vie à cette galerie de personnages si complexes et complets sur papier, et tout concorde. Chaque personnage est juste et pour les lecteurs invétérés de Foenkinos, l’expérience est étonnante. Ils semblent sortir de notre imagination pour prendre vie devant nous.
Naturellement ces personnages ne seraient rien sans leurs interprètes… Et quels interprètes ! Il est très rare dans un film que tous les acteurs principaux soient aussi justes. Ici, tous les acteurs se révèlent touchants et incarnent à merveille leur personnage.
Au centre, de toute cette histoire, il y a Madeleine, alias l’intemporelle Annie Cordy. On ne pouvait pas rêver mieux pour incarner ce personnage charismatique qui propose à la foi la vitalité et la sagesse.
Autour d’elle gravitent tous les autres personnages, mais le plus important est sans doute Romain, interprété par Mathieu Spinosi. Il arrive à sortir du chemin tout tracé par la série « Clem » (où il tenait le rôle de Julien, avec déjà beaucoup de talent) pour tenter l’expérience d’un film différent et aborder un rôle plus réfléchi. Chapeau bas à ce jeune acteur très prometteur qui réussit en quelques minutes à peine à se faire oublier de son personnage de série. De plus, il se passe réellement quelque chose entre Annie Cordy et Mathieu Spinosi. Leur complicité est très crédible et transcende l’écran.
Et que dire de Michel Blanc ? Il incarne avec brio ce personnage de fils tourmenté, incapable d’agir en vrai père. On ne peut s’empêcher d’éprouver de l’empathie pour Michel qui croule sous les responsabilités non-assumées par ses frères et est inapte à se comporter comme il le voudrait. Mais la performance la plus troublante est sans doute celle de Chantal Lauby (vue récemment dans la comédie Qu’est-ce qu’on a fait au bon Dieu), dans le rôle de la mère. Son personnage éprouve un certain détachement par rapport à la situation, et tout cela est joué avec une grande subtilité que ce soit à travers les intonations, ou bien par les jeux de regards, notamment avec son mari.
Enfin, il faut tout de même notifier la présence de Jean-Paul Rouve dans le rôle du directeur d’hôtel. Même si son rôle n’est pas énorme comparé aux autres, il revêt un importance capitale pour Romain, le personnage principal. Détruit par le départ de son fils pour l’Australie, cet homme légèrement porté sur la bouteille, va se révéler être un père de substitution pour Romain, très différent de son propre père et qui va l’éclairé sur de nombreuses questions qu’il se pose.
Comme le dit si bien Jean-Paul Rouve, c’est le cinéma sur les choses de la vie qui est le plus touchant. Il n’y a qu’à regarder dans le passé, les grands film de vie ne vieillissent pas, comme par exemple « Les Choses de la vie » de Claude Sautet. En rigolant, le réalisateur ajoute même : si ça n’avait pas été déjà fait auparavant j’aurais appelé mon film Les Choses de la Vie et j’aurais même fait une suite ; les Choses de la Vie 2,3,4… Et c’est sans prétention aucune qu’il affirme : c’est le cinéma français qui est le plus doué pour ce type de film. Il a raison, et son film contribue à le prouver. C’est un bel hommage qu’il rend au cinéma français avec cette histoire qui traduit bien la vie que nous menons, qui est en quelque sorte la même pour tout le monde. Car oui, nous allons tous douter à l’aube de nos 20 ans, nous allons tous être confrontés à la dure réalité de la retraite, nous allons tous éprouver de la peur face à la vieillesse et enfin, nous allons tous nous replonger dans nos souvenirs à un moment où l’autre pour mieux avancer dans la vie. C’est tous ces sentiments universels qui sont abordés dans ce film sans tomber dans les clichés des bons sentiments et du happy end.
Le film n’est pas non plus un drame. Le réalisateur voulait éviter cette dimension du roman dans son film en intégrant la comédie dans l’écriture. C’est d’ailleurs réussi, car on ne cesse de rire grâce à la subtilité des dialogues et aux situations inattendues comme la leçon de vie que Romain reçoit du pompiste dans une station service qui est un régal. De plus, il ne se conclut pas sur une touche optimiste et moralisatrice. Tous les personnages ont avancé certes, ils ont résolu ou non leurs problèmes, mais ils n’ont pas la prétention de nous donner une leçon ou de nous servir d’exemples. C’est indéniablement un des points forts de cette petite merveille signée Rouve, à voir en janvier sur nos écrans.