Dans l'imaginaire collectif, difficile d'imaginer qu'Auschwitz n'a pas toujours été Auschwitz, celui que l'on définit actuellement, dans l'immédiat après-guerre. Et pourtant, en regardant la reconstitution historique extraordinaire du film Le Labyrinthe du silence, on ne peut être que terrifié devant cette volonté d'une grande partie de la société allemande d'oublier ce qu'il s'était passé quelques années auparavant, cette volonté d'avancer sans pour autant regarder dans son rétroviseur, de peur de reculer. Non seulement le film est un hommage au travail de ces personnes ayant œuvré pour que soient révélées les terribles exactions commises durant la guerre, en l'occurrence ici à Auschwitz, mais il est aussi un plaidoyer très fort en faveur d'une justice véritable, qui porte bien son nom, une justice juste.
Si ce film n'apportera rien d'original dans sa réalisation somme toute très classique, il peut se permettre un travail visuel minimal, non bâclé pour autant, car il est porté par une fougue irrésistible et une passion de transmettre foudroyante. Le scénario en béton armé d'Elisabeth Bartel et de Giulio Ricciarelli est la force d'un film qui ne se perd jamais et qui reste passionnant de bout en bout, encore une fois un travail historique magistral, un chef-d'oeuvre de reconstitution. L'inspiration des acteurs est notoire, notamment celle de l'acteur principal, Alexander Fehling, lancé dans Et puis les touristes, autre film mémoriel se questionnant sur le devenir d'un Auschwitz devenant lieu touristique dénué de sens et d'histoire. Fehling est absolument magnifique, incarnant avec intensité un personnage habité par son envie de justice. La justesse de son jeu est fascinante car le piège de tomber dans l'excès était grand, surtout dans un film historique où le protagoniste se battant presque seul, à la fois contre une Allemagne qui veut oublier et contre lui-même, contre un nom qu'il ne veut pas souiller par les actions passées de son père, est de tous les plans.
Mais il n'est pas réellement seul, s'appuyant sur des personnages secondaires des plus intéressants, impliqués à juste dose dans un récit qui comporte aussi son lot de moments poignants. Car si le long-métrage est épatant et nous ouvre les yeux en grand sur ce passage méconnu de l'après-guerre, au moment où la mémoire s'effaçait, il est aussi profondément touchant. Une scène permet de comprendre le titre du film, Le Labyrinthe du silence, c'est cette scène où les témoins d'Auschwitz s'enchaînent dans le bureau du jeune procureur Radmann et où ils racontent leur calvaire. Sauf que l'on n'entend aucun témoignage et tout paraît si silencieux malgré cette musique dont la profondeur touche directement au cœur, appartenant à une BO qui ne souhaite jamais prendre le dessus sur des dialogues ou des scènes. Dans cette scène justement, la musique est très présente mais elle sait faire de la place aux gestes et aux expressions faciales, seuls éléments nous permettant de comprendre des témoignages volontairement gardés sous silence par le réalisateur. Les bureaux composent les lieux principaux du film là où les scènes extérieures sont des véritables bouffées d'oxygène pour un héros qui est asphyxié par son enquête, ou plutôt ses enquêtes. Ils sont étroits et pourtant chaque personnage peut s'y perdre facilement, doux paradoxe d'une quête se jouant sur peu de choses, vaste champ de recherche borné à un bureau, où le moindre silence s'avère pesant. Les larmes ne coulent jamais sur les joues, elles se contentent de mouiller les yeux d'un spectateur ne tombant jamais dans le pathos, c'est le but du film et l'une de ses forces, raconter sans être larmoyant, être tout simplement juste, tout comme veut l'être son héros.