Bien sûr, nous sommes allées avoir ce film allemand !
A partir d'un fait historique, le munichois Giulio Ricciarelli a fait un film sur l'ignorance, le refoulement collectif et sur le courage. C'est un film allemand important et et émouvant, qui navigue entre fiction et drame historique - le journaliste et le procureur général Fritz Bauer sont des personnages historiques, Johann Radmann par contre est une synthèse de plusieurs procureurs, ici un beau jeune homme, idéaliste, entier. Le film rend hommage aux personnes qui ont obligé les allemands à se regarder dans le miroir de leur histoire. Beaucoup d'anciens responsables avaient réintégré la jeune République Fédérale en toute impunité !
C'est le début du miracle économique allemand, la guerre semble loin, il y a certes encore des ruines et des mutilés de guerre, mais aussi de belles voitures et des jolies robes, les gens ont envie d'oublier, on ne veut rien savoir des ombres du passé, de culpabilité et d'expiation. "Ce pays veut un glaçage sucré", dit un rescapé résigné. Les vieux refoulent, les jeunes ne demandent pas. Un officier américain conseille de changer de cible, ce sont les russes les nouveaux ennemis, les alliés aussi ont une part de responsabilité dans cet arrangement. Des mensonges, le silence, le refus de vérité, "voulez-vous que chaque jeune se demande si son père était un meurtrier ?" et lorsqu'il y a des rumeurs, c'est de la propagande des vainqueurs...
Le but du jeune procureur est de trouver Mengele, le médecin du camp, connu pour ces atrocités, parce que "il est Auschwitz". Mais Bauer répond clairement "Non, tous ceux qui ont participé, qui n'ont pas dit non, ils sont Auschwitz".
Le film est classique dans sa construction, linéaire, avec une reconstitution très soignée. Il nous montre la longue instruction méticuleuse et difficile. Auschwitz, personne ne savait ou connaissait, il fallait trouver les victimes pour identifier les coupables. Les témoignages font partie des moments forts du film, ils sont réduits à l'essentiel, la caméra fixe les lèvres, la secrétaire et le jeune procureur sont épouvantés, le sentiment d'horreur s'installe parce que le spectateur connait la vérité. Un autre moment fort est lorsque Radmann et le journaliste juif lisent ensemble une prière juive devant le camp d'Auschwitz.
Ce film a le mérite d'éviter le cliché du méchant allemand, de se montrer nuancé dans les portraits et devant la complexité de l'histoire - Radmann arrive à se demander, "qu'aurais-fait à leur place" ? Et en même temps, il sent le poids d'une culpabilité collective.
Le film finit sur une scène de victoire, tant d'obstacles ont été vaincus. Il s'arrête au début du procès qui n'en est que l'aboutissement.
On est captivé du début à la fin, saisi par l'émotion par moment, ému par les bons acteurs comme Alexander Fehling en jeune juriste, mais surtout Gert Voss, le procureur général, un des grands acteurs de langue allemande, dont ce fut malheureusement le dernier rôle.
Nous pensons bien sûr aux films Le liseur et Hannah Arendt, dont nous avons parlé ici qui traitaient aussi de l'Allemagne, de l'après-guerre et de la culpabilité collective.
Personnellement (c'est la partie germanique de Matching Points qui parle), je n'ai que des souvenirs vagues de ce procès, j'étais encore enfant. Je fais partie de ceux qui quelques années plus tard justement bénéficiaient de l'enseignement de jeunes professeurs qui soulevaient ces grandes questions. Le sentiment d'obscurantisme face à l'histoire, nous le rencontrions encore face aux anciens, comme je l'ai mentionné ici
Un film à voir, et pas seulement pour les germanophiles et germanophones ...