Difficile de résumer « Le Labyrinthe du Silence » car c’est un film de plus de deux heure très dense, qui pose un nombre innombrable de questions historiques, juridiques, sociologiques, psychologiques aussi. Comment juger ce qui relève de l’innommable ? Comment graduer les responsabilités dans une œuvre de mort aussi élaborée que l’était le Solution Finale ? Comment vivre avec la culpabilité, la sienne, celle de son père ? Comment reconstruire un pays si toute une génération se met à envisager que son père était un criminel ? Le film de Ricciarelli pose toutes ses questions. Il remet dans le contexte de 1958 une Allemagne sourde et aveugle aux crimes nazies. L’Histoire à la mémoire courte, on a oublié aujourd’hui que dans les 15 ans qui suivirent la libération des camps, beaucoup de gens en Allemagne (mais pas seulement en Allemagne) ne savaient rien, ne voulaient rien savoir, où alors tout simplement n’y croyaient pas ! Le film montre très bien cette ignorance teinté de déni, qui touchaient la Police, la Justice, l’Education. Radmann rencontre mille mauvaises volontés pour l’aider dans son enquête, parfois au travers de scènes fortes (la liste de nazis dont on se sert pour caler une table), souvent assez courtes et percutantes. La plus réussie et la plus glaçante ne dure que quelques secondes, elle montre un professeur (ancien gardien à Auschwitz) séparer ses élèves en deux files « Toi… à droite, toi… à gauche !), nul besoin d’en dire davantage, la malaise est palpable. Jamais ennuyeux, jamais pathos, le film de Ricciarelli n’est pas exempts de petits défauts mais il a une énorme qualité, historiquement il est extrêmement fort. Il met en scène un homme jeune, incarné avec conviction par Alexander Fehling, idéaliste, confronté au passé de son pays, de celui de son père, de celui de ses amis, et qui vacille sous le poids des crimes sur lesquels il travaille, jusqu’à être tout près de jeter l’éponge. Le cheminement psychologique du personnage, mais aussi celui des autres personnages, est complexe, fouillé, loin du manichéisme que l’on pourrait craindre sur un sujet pareil. Et le contexte est parfaitement rendu aussi, les pressions qu’il subit, directes ou indirectes, les tentatives de le faire taire (une de ces tentative, le plus élaborée et sournoise, est tout prêt de fonctionner !), les collègues qui le dénigrent, ceux qui le soutiennent pour des raisons mal établies et surement douloureuse à exprimer. Le scénario du « Le Labyrinthe du Silence » est parfaitement tenu, la réalisation est sobre, limite austère par moment. Mais elle a le mérite de ne pas céder à la facilité : la visite du camp (ou plutôt de ce qu’il en reste à l’époque) se fait à sous un soleil éclatant et dans une nature verdoyante, alors qu’il aurait pu appuyer le trait bien inutilement avec une lumière et une photographie bien lourdes. Les acteurs sont tout à fait impliqués. Avec l’histoire romantique de Johann et Marlène, le film se teinte par moment d’une légèreté bienvenue, même si cette histoire est aussi l’occasion de poser question : le père de Marlène entonnant avec ses frères d’armes « Un russe = une balle » et le malaise que çà implique dans leur couple. « Le Labyrinthe du Silence » a quelques petits défauts, certaines scènes sont un peu téléphonées (la scène de la veste à raccommoder, oh là là, on flirte avec l’eau de rose !), certains aspects sont purement et simplement escamotés (la Rideau de Fer qu’il faut bien franchir pour se rendre en Pologne, non ?), la fin va apparaitre aussi bien abrupte et un peu frustrante à beaucoup. Et puis, on aimerait en savoir plus aussi sur la famille de Johann et comment lui et sa mère vont digérer ce qu’il apprend (et pourquoi l’apprends il de cette façon ? Quel rôle à jouer sa mère dans cette ignorance ?). Et puis, le « faux suspens » sur l’arrestation de Mengele (qui n’en est pas un pour qui connait un tout petit peu l’Histoire) résonne un peu bizarrement. En fait, même si le film fait plus de deux heures, il semble trop court pour faire le tour de toutes les questions que l’on se pose. Il est pourtant, je l’ai dit, d’une densité tout à fait remarquable mais j'aurait encore tellement à apprendre et surtout à comprendre.