L'histoire se situe plus de 15 ans après ce qu'aujourd'hui, on nommerait l'évidence des camps, l'évidence de la terreur. Le prologue ouvre le film sur un échange de regard, un simple échange de regard, d'un échappé d'Auswitch avec un ancien bourreau, prêt à lui offrir du feu. Et c'est ce regard, et tous les autres qui vont suivre, qui constituent la matière même du film. La force de la mise en scène réside dans les détails : des mains qui se croisent, des yeux qui se ferment, des gorges qui palpitent, des bouches qui se taisent. Le réalisateur échappe à tout misérabilisme. On est très loin du soporifique "The Reader", car, d'abord le film est allemand, tourné en langue germanique, ce même pays qui tarde encore à se remettre de l'horreur de l'Histoire. Le réalisateur pose des questions d'ordre philosophique et politique. Philosophique dans cette question essentielle qui revient en boucle durant tout le film à savoir si les bourreaux à Auswitch ont agi en bons citoyens qui obéissent aux ordres ou en véritables psychopathes, convaincus du mal qu'ils généraient. Politique parce qu'une nation qui certes a voté majoritairement pour un parti autoritaire demeure pourtant un pays de femmes et d'hommes en quête de bonté et de mieux-être économique et social. Chaque individu est le témoin à sa façon de cet héritage nazi, jusque le héros lui-même, un jeune procureur zélé, décidé de faire éclore la vérité et la justice, qui va découvrir que son propre père avait adhéré au parti nazi pour des questions de pouvoir et de carrière. On découvre avec épouvante les barrières que le jeune juriste rencontre à la fois pour trouver des rescapés prêts à témoigner de l'horreur et de la honte, les coupables de ces crimes, et les administrations qui continuent de répandre le silence. On découvre que 15 ans après, l'Allemagne ne fait que commencer à guérir ses plaies. Le spectateur est happé dans ce labyrinthe pétri de silencieux, mais aussi de musiques, de dossiers énormes, de mensonges et de couleurs. La grandeur de ce film émerge dans le fait que le scénario ne tombe jamais dans la facilité, ni la démagogie. La complexité de la narration, la pudeur des images et des dialogues, la prudence du propos, font de ce long-métrage un chef d'œuvre indispensable, ne serait-ce que pour le souvenir.