Lorsque, en ce jour de la fin du XIXe siècle, à l'institut pour jeunes filles sourdes de Larnay, près de Poitiers, les religieuses qui en ont la charge se trouvent face à un père désireux de leur confier sa fille non seulement atteinte de surdité mais de cécité, les voilà contraintes de déclarer forfait. Il faut dire que Marie Heurtin (Ariana Rivoire) se conduit en véritable sauvageonne: on ne peut l'approcher sans qu'elle se débatte et qu'elle hurle et, dès qu'elle le peut, elle s'échappe et trouve refuge dans les branches d'un arbre. Que faire de cette enfant? La mère supérieure ne voit d'autre solution que de la renvoyer chez elle. Mais c'est sans compter sur une des religieuses, soeur Marguerite (Isabelle Carré, lumineuse), qui, touchée par la détresse de l'enfant, veut mener le combat qui la conduira des ténèbres à la lumière.
"J'ai rencontré une âme. Une âme emprisonnée", dit-elle. Pour révéler cette âme, pour la faire sortir de sa prison, c'est bien un combat qu'il va falloir mener. Âpre et violent. Il faut à soeur Marguerite des trésors de patience, de ténacité, de persévérance, pour ne pas baisser les bras et gagner la bataille. Il faut se battre corps à corps avec l'enfant et, après bien des luttes et bien des apparences d'échecs, voir enfin surgir le langage. Apprendre à s'exprimer, à parler un langage approprié, c'est la seule voie pour échapper à la nuit et à l'enfermement. Qu'on la prenne ou non pour une folle, soeur Marguerite s'obstine et saura trouver le chemin pour parler au coeur de Marie.
Paradoxalement, dans ce film où il s'agit de révéler une âme, ce sont les corps qui sont sublimés. C'est par le corps, c'est à force d'empoignades, c'est par le toucher et par l'odorat que la jeune fille sourde et aveugle finit enfin par s'ouvrir au monde qui l'entoure et par communiquer avec lui. Soeur Marguerite, bien qu'elle-même malade, se bat, lave le corps de Marie, parvient avec grand peine à brosser ses cheveux, parvient surtout à lui apprendre les signes du langage... Les empoignades laissent place à des instants de tendresse bouleversants et sublimes. Une fois franchi l'obstacle qui conduit au langage, les progrès de l'enfant sont rapides et saisissants. Elle qu'on croyait idiote au point qu'on la traitait d'animal sauvage révèle ses trésors d'intelligence et de tendresse. Elle apprend le monde,elle apprend le sens du service, elle apprend la vie et elle apprend la mort... Elle apprend l'espérance.
Aussi beau, aussi émouvant et bouleversant que "Miracle en Alabama" (1962), le film qu'avait mis en scène Arthur Penn pour raconter l'histoire d'Helen Keller, une fillette elle aussi sourde et aveugle, ce film lumineux qui raconte l'obstination gagnante, la beauté des corps, la violence et la tendresse, la vie, la mort, le détachement et l'espérance restera sûrement longtemps dans nos coeurs et dans nos esprits comme un repère de lumière dans la nuit. 9/10