Je suis surpris par la qualité du film, qui traite pourtant d'un sujet qui peut ne pas être forcément passionnant pour le profane. Dalton Trumbo est un scénariste membre du Parti Communiste, mis sur liste noire et interdit de travailler dès la fin des années 1940 pour cause du maccarthysme. Alors qu'il est au début du film "le scénariste le mieux payé du monde" (sic), il doit diviser son salaire par trois pour survivre, écrivant clandestinement des scénarios, devenant un véritable pisse-copies. Malgré (ou peut-être grâce à) la rapidité à laquelle il doit les écrire, Trumbo recevra deux Oscars sous faux-nom.
Où le film est vraiment intéressant et sort du lot, c'est dans le sens où le manichéisme est plus édulcoré que dans d'autres productions hollywoodiennes. Si le maccarthysme reste présenté comme une vilaine chasse aux sorcières (ce qu'elle a été à bien des égards, bien que, n'en déplaise à certains, MacCarthy ait vu juste plus souvent qu'on ne le croit), la personnalité du scénariste est assez correctement présentée : autant courageux (devant la commission d'enquête sénatoriale) qu'ombrageux et têtu (
la scène de l'anniversaire de Nicolas
) et incapable de comprendre la détresse, compréhensive, ayant poussé Edward G. Robinson à abandonner Trumbo à cause d'une pression politique trop forte. Dans une scène (avec de beaux dialogues), Robinson dit à Trumbo qui lui reproche son témoignage devant la commission d'enquête : "
Si je suis fier ? Qui peut encore se le permettre ? Toi bien-sûr, toi, avec tes pseudonymes et tout le reste ? Toi tu travailles dans ton coin, moi je me montre chaque jour : c'est CA mon travail. Le seul que je peux être c'est moi. J'avais pas le choix Dalton
".
Un seul élément me déplaît dans le film, c'est la manie de la production de montrer la femme de Dalton Trumbo comme parfaite, compréhensive, tentant de maintenir le lien entre le père de famille et ses enfants, quasiment toujours souriante, malicieuse, jamais en train de crier... C'est relativement agaçant à la longue.
Quelques bonnes trouvailles dans ce film :
la scène où Trumbo avoue avoir gagné deux Oscars clandestinement
est une merveille de réalisation (le plan, la musique qui semble presque dire : "Je vous ai bien eus !"...), également la scène où Trumbo
assiste à l'avant-première du film "Spartacus" (1960) et où son nom (sur le générique) se reflète dans son verre de lunette
, et aussi la scène
du pétage de plombs anthologique du producteur King
, dont l'interprète John Goodman (un colosse) est superbe.
On peut voir dans ce film plusieurs hommages : un hommage au cinéma, au talent, au courage devant une légalité sans légitimité ; comme morale générale, on peut dire, comme l'a fait remarquer un commentateur précédent, que le talent déborde tout, comme de l'eau dans un verre, et que les barrières qu'on lui impose finissent tôt ou tard par céder. On salue au passage la prestation, raffinée, de Brian Cranston dans le rôle éponyme.