Quand on apprend qu'un nouveau Hiner Saleem est à l'affiche -qu'est ce qu'il nous avait manqué, ces derniers temps, et qu'en plus il fait tourner, aouououwwwh! (pour la version parlante, voir le loup de Tex Avery) la plus jolie femme du monde, Golshifteh Farahani (tout est parfait chez elle: nez droit, ligne des sourcils, bouche sublime, yeux en amande..... les Iraniens n'en voulaient plus parce qu'elle montre trop de peau et de cheveux? Allez, on se la garde, et on leur laisse leurs thons....), on y est, bien sûr, à la première séance du mercredi.
N'arrivez pas en retard de cinq minutes. Car tout Hiner Saleem est dans la première scène. Une pauvre cour de prison, un tribunal improvisé où l'instituteur et le mollah siègent à côté du représentant de la loi qui prend la parole, gonflé de bonheur et d'importance "Au nom de la nouvelle République Kurde indépendante et démocratique, j'ai l'honneur de procéder aujourd'hui à la notre première exécution capitale....." Il faudra s'y reprendre à deux fois pour zigouiller le malheureux voleur de poules qui crie son innocence, car rien n'est vraiment organisé....
Saleem considère que la situation du Moyen Orient en général et du Kurdistan en particulier est trop tragique pour qu'on puisse faire autre chose que d'en rigoler. Il cite un proverbe: Dieu a créé dix Kurdes, et le onzième pour les faire rire.....
C'est au nord de ce "Kurdistan indépendant", sur le territoire d'Iraq dans cette zone frontalière avec la Turquie, pas très loin de la Syrie, pas très loin de l'Iran, zone de tous les trafics, de toutes les contrebandes, que vont se rencontrer nos deux héros.
Baran (Korkmaz Arslan) est un ancien combattant de l'indépendance. Pendant vingt ans, il a guerroyé contre le régime de Hussein. Maintenant, il aspire à revenir chez lui, vivre en paix..... Mais chez lui, il y a sa mère, infatigable marieuse, qui ne cesse de lui amener les concurrentes les plus improbables. Baran préfère encore reprendre du service.... et on l'envoie, chef de la police, au bout de n'importe où. Baran est plein de bonne volonté, de bonnes intentions, (d'illusions?) Dans cette merveilleuse nation démocratique, l'ordre et la loi doivent régner partout!
Sauf qu'il y a quelqu'un qui fait déjà régner l'ordre, à sa façon. Le seigneur du lieu, Aziz Aga (Tarik Akreyî ), maître absolu des trafics et de la contrebande, aidé de son neveu et premier lieutenant et d'une bande de sbires. Il tient la population par la peur et les faveurs; il essaye d'acheter Baran, avant de lui déclarer la guerre.
En même temps revient Govend, l'institutrice. Une jeune fille, seule, dans ce pays? Le retour de la jeune femme a été l'objet d'un conciliabule familial: les parents..... et une tripotée de frères, l'un est un vrai furieux, d'autres sont beaucoup plus modérés. Bref, le pater familias fait confiance à Govend: elle saura ne pas déshonorer la famille....
De tout cela, qui est sociologiquement passionnant, on voit à quel point les Kurdes sont différents des autres peuples de la région. La religion est aux abonnés absents. Pas de prières, pas de mollahs, on ne se salue pas à coups de "salam aleikoun". Et Govend se promène tête nue.... Enfin, dans la montagne, évolue un étrange groupe de résistantes. Ce sont des Kurdes. Mais Turques! et féministes! Dont, naturellement, Aziz Aga veut également la peau.....
Voilà le décor. Ajoutons qu'il est magnifique: montagnes âpres et arides, désolées. Et, à partir de là, vous pensez que Saleem va nous concocter un drame sociologico -politique? Point du tout! Saleem ne se soucie pas d'être là où on l'attend. Il est là pour s'amuser.... Alors, il tourne: un western, à la Sergio Leone. Avec tous les codes du genre, les plus improbables et les plus absurdes. Panpanpan, tous morts! Aziz Aga, c'est le gros propriétaire terrien qui rackette les fermiers; sa bande galope à bride abattue dans les rocailles, chevauchant des petits barbes étiques mais au pied sûr. Baran est le shérif, avec son adjoint pas très courageux. Et l'institutrice, il y a toujours une jolie institutrice dans un western, dont le shérif est amoureux mais il est bien trop empoté pour l'avouer.... Et c'est par elle que l'ignoble Aziz Aga va tenter d'abattre Baran; on avertit la famille: les deux jeunes gens ont une liaison. La honte absolue. Les frères radinent en masse. Le furieux veut, naturellement, la tuer pour laver le déshonneur de la famille.... mais heureusement, les plus modérés le détourneront de cette solution extrême....
Ce film est jubilatoire, et en même temps, Saleem nous dit beaucoup de chose sur son pays; son côté médiéval, ses seigneurs féodaux, sa loi de la jungle qui perdure, et en même temps, l'espoir d'une vie nouvelle avec des garçons courageux et honnêtes comme Saleem, des filles courageuses et déterminées comme Govend. Avec eux, l'espérance de bâtir un Kurdistan REELLEMENT libre et démocratique.... Même si, il est vrai, on ne retrouve pas tout à fait le surréalisme ravageur de, disons, Vodka Lemon, c'est un film à ne manquer sous aucun prétexte!