Malgré la note globale que j’ai mise, le film mérite d’être vu ne serait-ce que pour la troublante justesse de l’interprétation de Kompheak Phoeung dans le rôle de Duch, alors qu’il n’était encore qu’un révolutionnaire Khmer rouge parmi d’autres.
Je m’explique. Si Duch est principalement connu pour être le directeur froid et impitoyable du centre S21 ayant fait 17000 morts entre 1975 et 1979, le film Le temps des aveux relate une époque, le début des années 70, où Duch, confronté à François Bizot, ethnologue français qu’il fait prisonnier car soupçonné de travailler pour l’ennemi américain, révèle une personnalité on ne peut plus troublante : derrière une apparente cruauté nourrie par la paranoïa et un idéalisme aveugle, on découvre un autre aspect de Duch, celui d’un homme capable de sensibilité et même d’amitié, celui d’un homme qui était avant tout un être humain comme vous et moi, mais dont de nombreuses circonstances ont fini par le transformer quelques années plus tard en bourreau sanguinaire. Ce visage humain de Duch, est-ce parce que Kompheak Phoeung a été le traducteur officiel de Duch lors de son procès qu’il le joue si bien ? C’est en tout cas pour moi l’intérêt majeur du film parce que c’est aspect qui dérange et donne à réfléchir : est-ce possible que Duch, le bourreau sanguinaire, ait pu avoir un visage si doux et fraternel envers Bizot au moment même où il faisait arrêter et exécuter arbitrairement des « ennemis » ? Ce film a le mérite de compléter le portrait complexe de Duch que l’on essaie désespérément de dresser pour expliquer l’incompréhensible.
Malheureusement, le rôle de François Bizot n’est pas joué avec la même justesse. Or il me semble que cela aurait dû être l’objectif principal du film qui, rappelons-le, est une adaptation des deux romans de François Bizot relatant l’expérience de sa capture puis ses retrouvailles avec Duch pour son procès. Sans douter que le rôle est loin d’être facile à jouer, on s’attend à ce que l’acteur choisi l’ait été pour son aptitude à le jouer de façon plus crédible que d’autres. Le résultat laisse planer un doute sérieux. Raphaël Personaz dans le rôle de Bizot nous offre un Bizot qui parle un khmer tout juste incompréhensible sans que l’on sente une once d’effort de sa part pour faire mieux. Peut-être que c’est une négligence qui ne gênera que le spectateur comprenant le khmer, mais dans l’absolu, n’est-ce pas cohérent de travailler un minimum sa diction si l’on veut se rapprocher le plus de Bizot, l’ethnologue passionné, qui vit depuis plus de 5 ans au Cambodge ? Il nous offre également un Bizot assez creux tout au long du film. Personaz reste stoïque et prononce son texte sans émotion. Alors que l’évolution des sentiments de Duch est clairement perceptible, on ne sait jamais ce que pense vraiment Bizot tout au long du film. Est-ce qu’il méprise Duch ? Est-ce qu’il est tiraillé entre reconnaissance et ressentiment ? Considère-t-il Duch comme un monstre ? Les expressions ou le stoïcisme de Personaz ne donnent pas de réponses à ces questions ou au moins des éléments, pour cela il faudra revenir aux livres dont le film s’inspire.
Au final, on n’apprend pas grand-chose de l’expérience de Bizot : c’est-à-dire comment il a vécu tout cela, qu’est-ce que sa relation avec Duch a représenté. On ressort de ce film avec un rappel des faits sur les prémices de la dictature Khmer rouge où au passage est racontée également l’arrestation d’un français dont le geôlier s’attache, le tout sous couvert de décors appréciables du Cambodge. Dommage pour François Bizot que le film est censé mettre à l’honneur. Mention spéciale pour l’acteur Kompheak Phoeung tout de même.