Robert Rossen comme Elia Kazan ou Edward Dmytryk aura connu le déshonneur d’avoir témoigné devant la HUAC (Commission sur les activités anti-américaines) en 1953 après avoir dans un premier temps refusé de le faire en évoquant le cinquième amendement de la constitution américaine. Finalement convaincu de sympathie communiste, il est chassé de la Columbia. Dans l’impossibilité de travailler, il cède à la pression. Déjà alcoolique et diabétique, sa carrière n’atteindra jamais la plénitude qui lui semblait promise. Après le coup d’éclat que sera « L’arnaqueur » (1961) qui annonçait un possible retour en grâce, il meurt prématurément le 18 février 1966 à seulement 57 ans. En 1947, quand il met en scène son premier long métrage, l’avenir s’annonce pourtant radieux. Scénariste reconnu dans le domaine du film noir, il a déjà travaillé sur « La ville gronde » (Lloyd Bacon en 1939), « Les fantastiques années 20 » (Raoul Walsh en 1939) , « Le vaisseau fantôme » (Michael Curtiz en 1941) ou encore « L’emprise du crime » ( Lewis Milestone en 1946). Autant dire que la réputation de Rossen est solide. La chance passe devant sa porte quand Charles Vidor, réalisateur star de la Columbia à la suite du succès de « Gilda » (1946), refuse le projet d’adaptation d’une idée originale de Milton Holmes. Rossen réécrit le scénario du film qui voit Dick Powell, jusqu’alors vedette de comédies légères pour la Warner et la Paramount, poursuivre sa reconversion vers des rôles de privés ou de « bad guys » distingués, entamée avec « Adieu ma jolie » d’Edward Dmytryk (1944). Johnny O’Clock (Dick Powell), adjoint de Nelle Marchettis (Thomas Gomez) à la tête d’un casino est le prototype de l’ambitieux qui mise sur un charisme dont l’élégance suave est en permanence tempérée par un contrôle rigide des émotions. Personnage énigmatique apparemment dénué d’empathie dont l’intrigue va progressivement entamer l’apparente indifférence. C’est tout d’abord son ancienne maîtresse devenue la femme de son associé (Ellen Drew) qui par un cadeau malencontreux au retour d’un voyage au Mexique va provoquer une défiance irréparable dont les conséquences auront des ramifications pernicieuses. L’arrivée de la sœur (Evelyn Keyes) d’une employée du casino retrouvée "suicidée" va encore plus fragiliser la belle assurance de Johnny O’Clock qui doit désormais batailler sur deux fronts. S’ajoute la présence d’un flic ripoux auprès des deux hommes qu’un inspecteur opiniâtre joué par un Lee J. Cobb cantonné dans un registre un peu trop classique, cherche à faire tomber. L’intrigue qui se déploie sur deux niveaux s’avère plutôt relâchée, empêchant cette première réalisation de prendre place parmi les grands films noirs. C’est donc du côté de l’évolution psychologique de Johnny O’Clock, parfaitement incarné par Dick Powell qu’il faut aller rechercher l’intention du réalisateur qui de ce point de vue à parfaitement atteint son objectif. Très maîtrisé techniquement, « L’heure du crime » s’avère être un coup d’essai convaincant qui sera parfaitement transformé la même année avec le plus abouti et introspectif « Sang et or », se déroulant dans le milieu de la boxe, avec John Garfield. Robert Rossen, un réalisateur au potentiel sacrifié sur l'autel de la paranoïa anticommuniste américaine.