Tout commence avec la représentation du Sacré-Coeur: après l'avoir repeinte, Anna et les autres novices portent la statue du Christ et la déposent sur son piédestal. Représentation du Sacré-Coeur qui réapparaîtra, un peu plus tard, sous la forme d'une image pieuse. Le Christ montrant son Coeur, c'est à lui qu'Anna a voué sa vie, au point qu'elle s'apprête à s'engager définitivement dans la vie religieuse. Mais a-t-elle vraiment eu le choix, elle qui est orpheline et qui a passé la majeure partie de sa vie au couvent? Ne faut-il pas un peu se frotter au monde avant que de prononcer ses voeux de religieuse? C'est avec sagacité que la Mère supérieure enjoint donc à Anna de rendre visite au seul membre de sa famille encore en vie, sa tante Wanda.
Nous assistons alors à la rencontre de deux femmes aux destins radicalement opposés: Anna la novice fait la connaissance de celle qu'on a surnommée "Wanda la Rouge", une femme qui a servi le régime communiste polonais des années 50 en tant que juge et qui, on le comprend d'après son surnom, ne l'a pas fait avec mollesse! Mais Anna apprend surtout de la bouche de sa tante qu'en réalité son prénom est Ida et qu'elle est juive. Le film prend dès lors l'allure d'une quête des origines et d'une enquête, car Ida veut savoir pourquoi ses parents sont morts et ce qu'il est advenu de leurs dépouilles.
Les deux femmes en recherche de vérité se heurteront cependant à bien des obstacles car, dans la Pologne profonde des années 60, on ne se livre guère: on se mure dans le mutisme, on veut faire croire qu'on ne sait rien... Il faut beaucoup d'obstination pour ébranler les murs de silence et de médiocrité édifiés par les uns et les autres et pour enfin entrevoir la vérité dans toute sa laideur.
Pour Ida, ce voyage est une mise à l'épreuve: restera-t-il quelque chose de sa foi et de sa vocation? Retournera-t-elle au couvent pour y prononcer ses voeux? Car elle est non seulement confrontée à la terrible réalité de ce qu'il est advenu de ses parents, elle découvre non seulement son identité juive, mais elle perçoit aussi ce que pourrait être sa vie ailleurs qu'au couvent, avec ce garçon qu'elle rencontre par exemple et qui lui avoue son trouble: "Tu ne sais pas l'effet que tu produis...". Wanda aussi la houspille: "Ton Christ, lui dit-elle, il est allé à la rencontre de gens comme moi!...". Oui, ce Christ qu'elle a porté sur ses épaules au début du film, ce Christ montrant son Coeur, il est celui qui n'a pas craint de choquer en mangeant à la table des pécheurs ou en accueillant l'hommage d'une prostituée!
Avec ce long-métrage filmé à l'ancienne, en noir et blanc et dans un format qui n'est quasiment plus utilisé de nos jours, Pawel Pawlikowski nous donne une oeuvre passionnante, troublante, grise et belle. Mystérieuse, lumineuse, tantôt hésitante tantôt déterminée, Ida, la "nonne juive", fascine, intrigue et interroge... 9,5/10