Gerontophilia, de Bruce LaBruce.
Malgré que le film soit -malheureusement- passé inaperçu parmi la foule de grandes daubes américaines qu'on nous sert en ce moment, l'idée de le voir me tenait en revanche très à cœur. Rien que la bande-annonce laissait prévoir un vrai petit chef-d’œuvre, délicieusement sobre et romantique. J'y suis donc allée sans aucune appréhension, faisant confiance à mon instinct. Et je peux vous dire que je n'ai pas été déçue.
Amateurs de comédies romantiques hétérosexuelles, passez votre chemin. Car en effet, ce film n'est pas à remettre entre toutes les mains - au contraire. Rien que le titre vous donne un avant-goût du pitch. Et si le sujet paraît repoussant au premier abord, il n'en est pas moins parfaitement maîtrisé, par un Bruce Labruce qui brise les limites, fait exploser les préjugés et signe une histoire d'amour pas comme les autres.
Traitant d'une attirance sexuelle atypique, la "gérontophilie" (ou l'attirance pour les très vieilles personnes), l'intrigue en rebute beaucoup et en attire peu. Mais contrairement à ce que l'on pourrait croire, ce film n'a rien à voir avec les précédentes productions trash, provocantes et malsaines du réalisateur. Aucune image crue n'y est montrée durant cette savoureuse heure et demie, et c'est justement ce qui fait le charme du film. Ce n'est pas le voyeurisme pervers dont parlent certains rageux effarouchés - d'ailleurs je conseille à ces derniers de regarder le film avant de critiquer. C'est tout simplement une histoire d'amour, un brin fleur bleue, de deux êtres qui s'aiment comme n'importe lesquels s'aimeraient. Lake, un adolescent de 18 ans - interprété par un jeune acteur criant de vérité - se découvre, en allant travailler comme infirmier dans une maison de retraite, une certaine attirance pour ces résidents du troisième âge - et plus particulièrement M. Peabody, un octogénaire noir dont il a la charge. Les deux hommes apprennent à se connaître, deviennent rapidement proches, et Lake finira par faire sortir son amant de cette maison de retraite trop étroite, trop stricte, trop ennuyeuse... Trop tout. M. Peabody, lui, il veut voir l'Océan. L'Océan Pacifique. Et Lake est prêt à donner son maximum - quitte à lui faire traverser la moitié du pays dans une caisse pleine de rouille - pour que le vieillard réalise son rêve.
Techniquement, la réalisation est au top. Les plans sont superbement choisis, mettant sensuellement les corps en valeur sans en dire trop, avec une pudeur et une douceur inouïes. La photo est confortable, la lumière rassurante, les dialogues minimalistes et les acteurs sont au meilleur d'eux-mêmes, autant pour nos deux protagonistes que pour les secondes rôles - mention spéciale à la jeune Désirée, superbe dans son personnage petite-amie excentrique. Rien n'est à redire à propos de la bande-son, qui colle parfaitement à l'ambiance du film avec des morceaux pop qui viennent dynamiser le tempo tranquille du scénario.
Mais plus qu'une simple histoire d'amour "hors-norme", Gerontophilia est en réalité une véritable remise en question de la mentalité d'aujourd'hui, et plus particulièrement de notre notion du "beau". Cette société qui prône l'aura de la jeunesse et le culte du corps, en crachant sur la décadence physique que la vieillesse apporte avec elle. Cette obsession de l'apparence, de l'esthétique, LaBruce passe au travers, et nous rappelle avec délicatesse que ces joues ridées, ces muscles abîmés, ces cheveux blanchis, ces personnes que l'on rabaisse au simple titre de "vieux" dont plus personne ne s'occupe, ont été belles dans le passé, et le sont restées à leur manière. Par leur sagesse, leur culture et leur expérience de vie. Moi-même je l'avoue, j'ai été surprise de voir à quel point une banale scène de toilette, si elle est bien filmée, peu paraître séduisante. Les gestes doux, les élans purs du jeune protagoniste, l'éponge contre le corps flétri de Melvin Peabody, tout dans cette scène suinte d'une beauté sincère, modeste, naturelle. On fait abstraction des barrières morales et on se plonge dans cette histoire d'une élégance rare, on découvre une nouvelle facette du troisième âge, qu'on se surprend à apprécier.
Pour résumer, je dirais que Gerontophilia est une de ces perles rares que l'on rencontre trop peu souvent, mais qui mérite pourtant toute l'attention du public. Touchant, plein de poésie, sans fausse note, cette fable contemporaine d'une puissante simplicité est en quelque sort une manière de dire "merde" aux préjugés sur le genre, la couleur de peau ou l'âge. Les non-dits renforcent l'univers quasi-sacré de la réalisation, et grâce à une mise en scène brillante, même les plus sceptiques en ressortiront satisfaits. À voir absolument.