Après Les Bêtes du sud sauvage (2012), Benh et Eliza Zeitlin souhaitait explorer les thématiques de l'exubérance de l'enfance et de l'exploration du monde avec émerveillement. Ils expliquent : "On a parlé de ces moments où l'on sent qu'on est en train de grandir – ces moments où l'on prend conscience que le Père Noël n'existe pas : parfois, dès qu'on cesse de croire à quelque chose, il n'existe tout simplement plus. Et puis, on vieillit parce qu'on commence à renoncer à certaines choses et que vos jeunes années, en quelque sorte, disparaissent."
Pour mettre au point cet environnement complexe composé d'éléments naturels et fantastiques, Benh Zeitlin et ses producteurs ont fait appel à des collaborateurs avec lesquels ils avaient déjà travaillé. Le producteur Josh Penn confie : "Nous avons presque reconstitué à l'identique l'équipe des Bêtes du sud sauvage, et on a retrouvé le même esprit. On a passé près d'un an à sillonner la planète pour dénicher nos chefs de poste. Je ne suis pas certain que la plupart des gens auraient été partants pour une telle aventure ou prêts à accepter notre méthode de travail."
Comme avec Les Bêtes du sud sauvage, pour lequel il avait engagé la débutante Quvenzhané Wallis, Benh Zeitlin souhaitait de nouveau recruter des interprètes non-professionnels. Le metteur en scène et son équipe ont démarché les écoles, les maisons de quartier et les églises pour pousser des gens qui n'avaient jamais envisagé à passer une audition. C'est de cette manière que Devin France a été trouvée. Originaire de Louisiane, cette fillette a été découverte en 2015 à l'occasion d'un casting improvisé à la bibliothèque South Lafourche Library, à quelques kilomètre de la Nouvelle-Orléans.
Tout a commencé en 2013, lorsque Benh Zeitlin s'est rendu à Montserrat, une île montagneuse des Antilles. C'est là que le réalisateur a rencontré le naturaliste Philemon "Mappie" Murrain. En quelques années, les deux hommes sont devenus amis et Murrain a fait découvrir au cinéaste les lieux qui allaient constituer le Pays Imaginaire de Wendy. Il a aussi emmené l'équipe au camp de Nyahbinghi Rastafari, situé en pleine forêt, où Zeitlin a vu une bande d'enfants, pieds nus. Après avoir négocié une audition avec le chef du camp, l'équipe a rencontré un certain Yashua Mack. Benh Zeitlin se rappelle :
"Le dernier enfant qu'on a vu en audition était plus jeune que tous ceux qu'on avait envisagés pour le rôle. Il a ce regard malicieux qui me semblait aussi redoutable que joyeux. Pendant qu'il nous faisait découvrir les meilleures cachettes du camp, j'ai eu le sentiment délirant que je venais de rencontrer Peter Pan. Pour autant, étant donné son jeune âge, je me suis dit que c'était inenvisageable qu'il joue le rôle. On a décidé de tenter un jeu de rôles avec tous les gamins. En un clin d'œil, Yash s'est glissé dans la peau du personnage et a improvisé une scène avec une assurance et une force qu'on acquiert en général au bout de plusieurs années."
Wendy a été tourné en Louisiane, comme Les Bêtes du sud sauvage. Benh Zeitlin, qui vient de New York mais qui habite désormais à la Nouvelle-Orléans, explique : "Ce qui est fascinant à la Nouvelle-Orléans, c'est qu'on y trouve un nœud ferroviaire des plus importantes lignes du pays. Le fret passe du fleuve à la terre ferme et les trains forment un étrange ballet qui perturbe constamment votre quotidien. Au cœur de la nuit, on entend les cloches des passages à niveau qui produisent un bruit métallique, des sirènes qui hurlent, et le grondement de ces vieux géants d'acier se déplaçant lourdement. Mais où vont-ils donc ?"
La logistique propre à un tournage sur une voie ferrée et à bord de trains présentait beacoup d'obstacles. "On a découvert une formidable organisation, appelée Louisiana Steam Train Association, qui répare de vieux trains de collection et qui disposait de ses propres voies ferrées. On a construit le restaurant des Darling sur le tronçon de voie ferrée qu'ils étaient à même de contrôler. C'est là qu'on a filmé l'essentiel de notre matériel ferroviaire, et puis on a tourné les plans des trains sur les ponts ferroviaires à proximité du Déversoir de Bonnet Carre, là où la ligne Amtrak traverse le marécage, en périphérie de la ville", se souvient Benh Zeitlin.
Pour autant, l'exploit le plus spectaculaire de ce tournage de 66 jours a été d'arpenter des sites inaccessibles et périlleux pour l'aventure des enfants à travers le Pays Imaginaire. Benh Zeitlin confie : "Il nous fallait des lieux de tournage et des paysages intacts, vierges de toute habitation humaine. On ne voulait pas avoir à construire le Pays Imaginaire – il fallait qu'il existe. Le terrain de jeu de nos petits héros est composé d'arbres, d'océans, de rochers et de ruines. Ils dorment là où leurs pas les mènent. Ils passent d'un jeu à l'autre, et ils ne se posent jamais suffisamment longtemps quelque part pour se construire un abri en dur."
"Tout devait commencer par un volcan", raconte Benh Zeitlin. C'est ainsi que le réalisateur s'est rendu à Montserrat, l'île des Antilles dont l'activité volcanique est la plus récente : "Même si j'ai été fasciné par les villes englouties et la montagne, j'ai aussi été frappé par la diversité des autres paysages qu'on trouve là-bas : des forêts tropicales luxuriantes, des falaises imposantes, des formations rocheuses surréalistes surgissant dans la mer. Sur l'île, les habitants étaient sincèrement enthousiastes à l'idée de voir débarquer une équipe de tournage. C'était la première fois qu'un tel événement se produisait et j'ai rapidement découvert des gens extrêmement doués qui avaient envie de faire partie de notre équipe."
Sturla Brandth Grøvlen a privilégié une lumière très sobre, avec un objectif 16 millimètres et une caméra à l'épaule, à hauteur d'un regard d'enfant. Le directeur de la photographie précise : "On filmait à hauteur de hanche, pour ainsi dire, et j'avais donc une sorte de bras articulé afin que la caméra soit à la hauteur du regard des enfants. Les gamins avaient de très fortes personnalités et étaient très drôles. (...) On a essentiellement tourné en lumière naturelle. La plupart des scènes du Pays Imaginaire ont été éclairées par la lumière du jour. On a éclairé quelques intérieurs – surtout pour les scènes de nuit en Louisiane – mais dans l'ensemble, on a cherché à conserver un style aussi naturaliste que possible."
Pour les costumes du Pays Imaginaire, Stacy Jansen a privilégié des tenues dans lesquelles les enfants se sentaient à l'aise. La chef costumière note : "On tournait dans des conditions difficiles et sous un soleil de plomb. La plupart du temps, on était dans la boue et l'humidité était omniprésente. Les gamins portaient plusieurs épaisseurs de vêtements très amples – des tenues qu'on pouvait facilement enfiler et enlever et dans lesquelles on pouvait courir partout sans problème. On devait créer de nouvelles tenues tous les jours avec très peu de matières premières, laver le linge dans une grotte en plein milieu de la journée parce qu'on avait besoin d'une tenue propre, changer les enfants plusieurs fois par jour par souci de continuité d'un plan à l'autre ou parce qu'ils s'étaient mouillés."