Il ne faut pas s’imaginer, comme je l’ai fait, qu’on va assister devant ce film à une énième enquête de Sherlock Holmes car « Mr Holmes », le film de Bill Condon, c’est tout autre chose. Il a choisit d’adapter le roman de Mitch Cullin montrant en 1947 un Sherlock Holmes rattrapé par l’âge, la solitude et la maladie. C’est dire si on est loin d’un Sherlock perspicace, alerte, malicieux et pétri d’humour british comme on l’a tous en mémoire. Du coup, le film déconcerte d’emblée et met, en tous cas pour ce qui me concerne, un peu mal à l’aise. Montrer un Holmes quasi grabataire et quasi gâteux, quel crève-cœur. C’est une souffrance que d’assister à la déchéance d’une quasi idole, et tout le mérite en revient à l’immense acteur Ian MacKellen qui, à travers chaque geste lent et difficile, chaque parole, chaque trou de mémoire, chaque regard dans le vide, parvient à rendre presque palpable et troublante la vieillesse et le désarroi. Il est accompagné de deux seconds rôles très bien tenus et très attachant : Laura Linley en gouvernante un peu souffre-douleur et le petit et adorable Milo Parker en gamin curieux et admiratif. L’Angleterre de 1947 est plutôt bien reconstituée mais comme le vieux Holmes ne sort pas beaucoup de sa jolie ferme, ce sont surtout les autres reconstitutions qui font bonne impression : celle du Londres de l’entre-deux guerre et celle de Japon de 1947. Oui, car le scénario jongle avec les flash back récents (voyage à Hiroshima) et les flash back plus anciens (la fameuse enquête), du coup on change régulièrement de décor et d’époque. Ce court passage à Hiroshima, à la recherche d’un arbrisseau très résistant qui est censé éloigner la sénilité, est particulièrement fort et réussi. Dans l’ensemble, Bill Condon rend une copie assez propre dans le genre « académique », pas de plans super créatifs ni d’effets particuliers, on est parfois proche de la réalisation des séries anglaises que l’on peut voir le dimanche soir sur France 3, avec les quelques longueurs et faux rythmes qui vont avec ! A part quelques jolis plans, le film brille peu dans sa forme, il tire même étrangement en longueur sur la fin. Je regrette aussi qu’il m’aie fallu un bon quart d’heure pour dater avec exactitude l’intrigue en 1947, tant c’était peu évident à l’image : quelques indications en bas de l’écran d’emblée aurait pu éviter que je me pose pendant de longues minutes la question « On est après quelle Guerre Mondiale au juste ? ». C’est en voyant des soldats US dans les rues de Tokyo que j’ai enfin pu lever mes derniers doutes. Quant au scénario, il n’est pas évident de le suivre car comme je l’ai dit, le film voyage sans cesse entre le présent vers les falaises de Douvres (elle est quand même très belle, la campagne anglaise !) où Holmes perd la mémoire et tombe de son lit, le passé récent avec son voyage un peu étrange au Japon et son passé plus ancien avec cette enquête qui l’obsède. Cette enquête, justement, va décevoir tous ceux qui étaient habitués et aimaient les enquêtes imaginées par Conan Doyle tant elle est d’une banalité confondante. Elle n’est pas au centre du film, comme on pourrait l’imaginer de prime abord, elle ne sert qu’à expliquer la solitude et la déchéance dans laquelle se trouve ce héros aujourd’hui. Elle joue sur des ressorts plus émotionnels qu’intellectuels, plus psychologiques que rationnels, elle est démonstrative bien plus que passionnante, pour tout dire. Je l’avoue j’ai eu un peu de mal avec ce scénario un poil confus, qui essaie de démystifier le mythe de cette manière,
qui tend à montrer que l’intelligence est aussi incompatible avec le bonheur que le sont ensemble l’huile et l’eau
. En revanche, ce qui est astucieux et très réussi, c’est le décalage entre le vrai Holmes et le Holmes des romans que son ami Watson à rendu célèbre, ce décalage source d’un humour décalé efficace qui trouve son point d’orgue dans la meilleure scène du film. Le vrai Holmes se rend incognito dans une salle de cinéma qui projette un film de Sherlock Holmes ! Ce qu’il voit à l’écran est tellement artificiel, guidé et peu crédible que ça le fait rire nerveusement, l’homme « ordinaire » face à son double phantasmé, une rencontre savoureuse. Reste que cette scène très maline ne suffit pas à faire de « Mr Holmes » le meilleur film du moment. Je trouve même qu’il manque un tout petit peu d’humour anglais, cet humour que j’affectionne et qui aurait pu à lui seul faire basculer le film de « moyen » à «pas mal ».