Si le titre de la critique pourrait laisser penser à une déception, cela n'est pas du tout le cas. The Lost City of Z est très académique, notamment dans sa photographie, mais dans le bon sens du terme car ce film, même s'il n'est pas purement historique, rentre dans cette catégorie de films retraçant l'histoire, voire la réécrivant, on peut le penser pour la fin du long-métrage, et cette catégorie a des codes spécifiques, surtout au niveau de l'image qui essaie de capter au mieux l'atmosphère d'une époque particulière. Ici, James Gray s'intéresse à l'explorateur Percy Fawcett qui a passé une grande partie de sa vie à la quête de la cité de Z, une cité perdue de l'Amazonie. Il s'engage donc à respecter, au-delà de l'histoire, le contexte social dans lequel évolue son protagoniste, l'aristocratie britannique, très conservatrice, où les femmes n'ont aucun poids, la société géographique plus précisément, où les explorations ne sont que lucratives et ne s'intéressent pas aux hommes se trouvant dans les zones explorées car considérés comme "sauvages" et "inférieurs". C'est justement cela qu'il veut changer, explorer non pas pour le profit matériel mais pour le profit culturel, car il finit par savoir pertinemment que sa civilisation, occidentale, n'est pas primitive et qu'elle a été précédée par d'autres civilisations. C'est toute l'évolution du personnage qui nous permet de voir comment celui-ci est passé d'une quête avec la gloire comme but à une quête avec la compréhension d'un autre monde comme but car la cité qu'il cherche n'est pas seulement une nouvelle civilisation à appréhender mais un nouveau monde à explorer lorsque le sien est en train de mourir dans une guerre folle et insensée, créée par ces mêmes hommes croyant leur société supérieure. C'est le magnifique paradoxe que parvient à mettre en images et en avant James Gray.
Le réalisateur possède un talent fou de faire de ses plans larges des plans d'une beauté remarquable, attrapant la nature avant ses acteurs. Et il donne, ou plutôt rend à la nature son côté sauvage car oui, à la fin, dans cette quête de la meilleure civilisation, c'est bien la nature qui a le dernier mot, à la fois dans la jungle amazonienne et dans les tranchées de la Somme, impeccablement reconstituées. Finalement, les explorations ont passé trop de temps à vouloir imposer la domination de la civilisation occidentale au lieu de s'intéresser à la diversité et à la pluralité des sociétés composant l'humanité. Et lorsque le groupe d'aventuriers arrivent dans une tribu cannibale, une question, fondamentale pour cerner le terme de civilisation, se pose: est-ce que l'on doit accepter une société cannibale parce qu'elle est différente et que l'on doit accepter sa diversité ou bien doit-on s'y opposer car au-dessus de toutes les civilisations existantes il y en a une primordiale, la civilisation humaine et l'intégrité à la fois physique et spirituelle de chaque être qui la compose ? Aussi un homme mort mérite-t-il toujours le même respect et les mêmes règles de la part de la société à laquelle il appartenait ? Le film dans ce sens se pose les bonnes questions, il est mûr, à travers son scénario et sa façon de suivre une vingtaine d'années de la vie de son protagoniste de manière aussi fluide grâce à des transitions maîtrisées par un montage efficace et sérieux. Ce protagoniste dépasse même la question de la "bonne civilisation", il est pro-humain et voit chaque être comme son égal. Interprété avec charisme par Charlie Hunnam, Percy Fawcett, très bien mis en valeur, est tout de même entouré par une galerie de personnages caricaturaux comme sa femme, Nina Fawcett, femme aimante attendant sagement son mari et qui finalement se révèle très tard dans le film, son fils, Jack, faussement rebelle envers l'absence de son père avant d'évoluer, ou encore James Murray, ce biologiste ingrat et imbus de lui-même, riche jusqu'au cou. Le seul personnage secondaire qui vaut réellement le détour, c'est celui de Henry Costin, incarné avec brio par un Robert Pattinson inspiré.
James Gray signe donc une réussite, l'un des films les plus intéressants de ce premier trimestre de 2017. Et dans cette ode à l'aventure, dans ce pamphlet contre l'universalisme, le doux message familier ne saurait ne pas pointer le bout de son nez, surtout pour un personnage comme celui de Percy Fawcett tiraillé entre sa famille qu'il voit si peu et son désir d'exploration et de gloire, car au début c'est bien sa gloire qui le pousse à partir loin et c'est cette même gloire qui, même si elle se dissipe, continuera à le guider. Le héros détermine ses propres actes dans The Lost City of Z et c'est assez paradoxal car il voit en cette cité perdue une destinée qu'il doit suivre mais c'est lui qui a le dernier mot sur ses actions. Et tout au long du film, l'absence du père est ce déterminisme causé par l'existentialisme des explorations, dont la première n'est pourtant pas choisie par le protagoniste lui-même, tout comme la guerre est un fatalisme qui s'abat sur lui. The Lost City of Z est-il donc réellement qu'un simple destin qui soit tombé sur un homme ou bien la récompense de l'acharnement de cet homme pour atteindre son but ultime ? La question se posera sans doute encore dans de nombreuses années, années qui continueront d'alimenter le mythe autour de cet incroyable explorateur que fut Percy Fawcett.