Au regard de son œuvre, il ne serait pas honteux d'affirmer que James Gray est sans doute l'une des plus grandes révélations des années 90. Une des plus grandes car Gray tranche avec l'ensemble des réalisateurs américains de son époque : ce dernier se caractérise en effet par une grande rigueur classique, plus proche des réalisateurs hollywoodiens des années 40-50 que des excès des cinéastes du Nouvel Hoolywood (genre Scorsese). Ainsi, après une série remarquable de films noirs (''Little Odessa'' en 1994, ''The yard'' en 2000 et surtout ''La nuit nous appartient'' en 2007), un film romantique (''Two Lovers'' en 2008) et un drame sur une immigrée (''The immigrant'' en 2013), Gray revient avec un film d'aventure qui est quand même une déception.
Produit par Brad Pitt, ''The lost city of Z'' raconte l'histoire vraie de Percival Harrison Fawcett qui, au début du XXème siècle, est chargé par la Société géographique royale d'Angleterre de cartographier les limites de la Bolivie et du Brésil, alors en plein conflits territoriaux. Fawcett et son expédition découvrent au plus profond de la jungle amazonienne les traces d'une cité perdue, preuve que les amérindiens ont réussi avant eux à atteindre cette partie de la jungle, prétendument inexplorée. Dès lors, Percy n'aura de cesse de découvrir et prouver l'existence de cette ''cité perdue de Z'', mettant en péril son mariage et sa vie de famille.
La famille justement a toujours été au cœur de l'oeuvre de James Gray. Déjà, dès son ''Little Odessa'', un tueur revenait dans son quartier quitté depuis bien longtemps et s'apercevait de la rancoeur qu'avait laissée son départ. Ici, le schéma est identique : Fawcett revient de ses expéditions et découvre toute l'amertume de sa femme et d'un de ses fils. Le spectateur est donc, au contraire du personnage du film, en terre connue. Et même si Gray a laissé son cher New York de côté pour filmer l'Angleterre et l'Amazonie, ses thèmes se retrouvent entre mille (encore une relation conflictuelle entre un père et un fils comme celle de Joaquin Phoenix/ Robert Duvall dans ''La nuit nous appartient''). Mais, tout en étant en deça des films précédents de son auteur, ''The lost city of Z'' est indéniablement riche, peut-être plus que les films noirs cités précédemment. Car James Gray introduit une thématique qui jusqu'ici était absente (me semble-t-il) de son parcours : l'obsession d'un homme. Car c'est bien une obsession qui anime Fawcett et le pousse à sacrifier beaucoup de choses (et à y laisser sa vie? On ne sait pas, il ne fut jamais retrouvé). Fawcett ne veut pas la gloire, ce qu'il recherche, c'est cette forêt fascinante. Et c'est ce point que James Gray réussit parfaitement : rendre cette forêt si attirante à la fois pour le personnage mais aussi pour le spectateur. Tout sacrifier pour rejoindre cet endroit dangereux et merveilleux, terrifiant et harmonieux, c'est bien ce qu'on se dit. Ainsi la forêt devient pour Fawcett plus qu'une idée fixe, mais un véritable lieu mental où se réfugier durant la guerre. Ce lieu reste gravé dans la mémoire de Fawcett et dans celle du spectateur, tous deux obligés de retourner à la ''civilisation''. Les partis pris esthétiques du chef-op' Darius Khondji conviennent évidemment mieux à la brillance de cette forêt qu'à l'Angleterre édouardienne. Le but est de nous faire regretter la jungle, c'est pour cela que les séquences en Angleterre sont nettement moins intéressantes. La jungle est un lieu de beauté et de violence : c'est ce mélange qui trouble. Les parties anglaises délivrent une critique, très banale, de la colonisation. En effet, les membres de la société de géographie refusent de croire ce que dit Fawcett car cela freinerait la conquête de ces territoires.
Sur le plan technique, c'est nickel. Les thèmes ? C'est encore mieux (l'homme est prêt-à-tout sacrifier pour réaliser son rêve). Mais... c'est lourd. Cela paraît incroyable de la part de James Gray, mais son scénario est empesé et trop solennel. Gray aurait pu (comme on le sent par moment dans le film) réaliser un grand film sensoriel où la parole est reléguée au second plan. Hélas, le film surprend par ses (très) longs bavardages. La durée du film est un signe : 2H20. Là où tout était dit en moins de 2h dans les précédents films du réalisateur, ''The lost city of Z'' déborde de coquetteries et d'inutilités (comme la scène de la voyante russe durant la guerre). Est-ce parce que James Gray a quitté son New York natal ? Il est ici maladroit et bavard. Gray fut classique et original, il est là classique et convenu. On voit, pourtant, ce qu'aurait pu être le film si on avait supprimé certains dialogues et certaines scènes, si on s'était concentré uniquement sur les sensations, non sur l'intellect. La scène finale, magnifique nous fait regretter un film que Gray aurait pu nous offrir et que malheureusement, il laisse en plan :
Nina, la femme de Percy semble marcher dans sa maison avant que la caméra nous fasse découvrir qu'elle marche dans la jungle ; ça y est, la beauté, muette, est enfin atteinte.
Le sujet, un homme qui sacrifie tout pour s'enfoncer, jusqu'à sa fin dans la jungle est traité avec maladresse par James Gray. Cela dit, le cinéaste parvient à nous faire ressentir toute la magnificence de la forêt à travers des plans qui s'impriment sur la rétine du spectateur. L'obsession de Fawcett devient alors la nôtre et on devra passer outre les scènes anglaises, bien peu palpitantes, pour rejoindre, enfin, cette forêt.