Ce fut l’un des flops les plus coûteux de 2017. Comme le veut la règle, ce fut aussi l’un des plus injustes, celui d’une oeuvre brillante qui ne sut pas rencontrer son public, sans compter qu’on tenait là un des ultimes représentants de la grande épopée à l’ancienne, en opposition frontale des Destruction-porn aux vagues effluves de science-fiction et Marvelleries bariolées qui trustent les sommets du box-office contemporain. Il est tout aussi exact que ‘The lost city of Z’ fut pensé, écrit et réalisé par un réalisateur new-yorkais très “européen”, dont les films n’ont jamais convaincu outre-Atlantique et, en outre, c’est la première fois que James Gray délaissait le cadre new-yorkais, même si le héros de l’heure partage un certain nombre de points communs avec les autres figures de l’univers du cinéaste. Pourtant, il mériterait tellement qu’on s’attarde à ce qu’il raconte, ce récit des explorations du major Percival Fawcett, dont les nombreuses expéditions en Amazonie soulevèrent l’enthousiasme des foules durant les premières décennies du 20ème siècle, et qui disparut corps et âme dans le Mato grosso en 1925, alors qu’il recherchait une mystérieuse cité perdue dont il était convaincu de l’existence et qu’il avait baptisée “Z”. Quoique de nombreuses expéditions de secours aient été mises sur pied dans les années qui suivirent pour découvrir ce qui lui était arrivé, Fawcett tomba dans un relatif oubli avant de connaître un regain d’intérêt inattendu pour avoir servi d’inspiration probable à la création du personnage d’Indiana Jones. ‘The lost city of Z’ débute sous des auspices classiques, et ne cherche d’ailleurs pas autre chose qu’à se faire une place au sein des classiques du cinéma américain : insatisfait de sa position sociale et professionnelle, Fawcett accepte une longue mission de topographie en Amérique du sud, sans se douter que c’est au plus profond de la jungle qu’il va rencontrer sa véritable raison d’être. On suit les périples de Fawcett et de ses hommes à travers les zones inexplorées de l’Amérique du sud, les dangers qu’ils affrontent, les contacts délicats avec des indigènes qui n’ont jamais croisé d’hommes blancs, la conviction qui se forge peu à peu chez lui que l’Amazonie n’est pas la terre primitive que tout le monde voit en elle et qu’elle a pu autrefois abriter des civilisations prospères. Au fil des voyages, c’est à la métamorphose totale d’un homme qu’on assiste, celle d’un militaire pétri des a-priori de son temps qui quittait sa famille la mort dans l’âme à un aventurier qui finit par s’abandonner de manière obsessionnelle à sa quête de vérité et à la recherche d’une forme d’utopie dont il trouve par comparaison son milieu social et géographie tristement dépourvu : Fawcett trouve dans l’enfer vert le défi qu’il attendait, le cadre idéal pour le dépassement de soi et le triomphe de ses idées et de sa volonté de vaincre et de réussir l’impossible. La dernière expédition se déroule presque dans une atmosphère mystique, où le mythe et l’épopée qu’il croit être en train d’écrire avec son fils lui semblent plus essentiels que les contingences réelles. En filmant la jungle au plus près, sans épate, de manière presque minimaliste, sans chercher les panoramas monumentaux qui imposeraient son immensité au spectateur, sans céder à l’envie d’exagérer les menaces qui pèsent sur les explorateurs mais sans jamais recourir à l’humour ou au second degré pour dédramatiser la progression, Gray réussit un coup de maître : peu de réalisateurs ont réussi à capter la dangerosité de la forêt tropicale, sa moiteur qui s’insinue partout, sa chaleur qui plonge peu à peu les hommes dans une transe proche de la folie. Des gens comme Francis Ford Coppola, Werner Herzog en font partie : il n’est d’ailleurs pas difficile de mettre en parallèle ce voyage fluvial et celui d’Apocalypse now, en direction d’un lieu mythifié où les normes humaines ont été abolies, qui se double d’une véritable odyssée intérieure pour ses participants...et il n’est pas davantage impossible de voir l’orgueil et la démesure qui animent Fawcett faire écho à ceux de Aguirre ou de Fitzcarraldo, à qui la jungle a insufflé sa démesure avant de les briser. Que Gray se rassure : échec au box-office ou pas, il l’a clairement tourné, son classique du cinéma américain….et a trouvé sans difficulté sa place auprès des maîtres.