Heimat 2
L'exode des siens est racontée comme une part de soi qui fleurit là-bas où on ne se rendra jamais et qui procure tout de même une sensation émue et mélancolique d'épanouissement, de souffle libéré, de vies mis à profit, lorsque la sienne demeure ici, et nourrit ceux qui sont restés.
Je comprend en regardant Heimat 2 quelque chose de plus grand dans cette conscience qu'on a de nous même, le renoncement à ces parties de soi nécessaire à l'ensemencement du monde. Lorsque Jentsen dit au revoir à son miroir et aux siens, ou que la mère se remémore ses enfants perdus, elle misent avec foi sur la promesse d'un monde meilleur, porté par ceux qui oeuvrent à la fertilité ici et ailleurs, où viendront jaillir de nouvelles cultures, cultures de l'idée, de la technologie, celle de la terre, mais aussi des langages. Le langage et l'écrit agissent tout le long de l'épopée comme un pollen volatile, une promesse imaginaire d'un sentiment de liberté qui ensemence les esprits. Un des frères la trouve dans ses livres, l'autre dans le répit désiré d'une terre lointaine.
Deux frères qui pourtant éloignés de leur rêves premiers, en retirent la particularité identitaire qui les transforment finalement et concrètement en Hommes de famille, de patrie, en patriarches autour d'une table qui rassemble. Celui qui lit et éduque son groupe, celui qui cultive et nourrit une colonie,semblent gagner finalement la place à laquelle ils sont attendus.
Et sur un fond de ciel divin, paysage venteux transportant les germes d'idées et de végétations, les femmes de chaque génération endossent avec intrigue, mêlée de douleur, le soucis d'une fécondité pour leur groupe, pour leur essaim.
Heimat éclaire sur la manœuvre du devenir humain et de son espèce, qui oeuvre aussi organiquement et inconsciemment qu'elle semble suivre le leurre d'en faire une affaire pleinement délibérée et consciente.
Mais nos sociétés où l'identité de groupe villageois se perd et se morcelle sous le poids parfois envahissant d'une "culture" de masse, peuvent elles encore se retrouver dans cet espoir des lendemains meilleurs qui supposent que le rôle de chacun puissent encore trouver le soutien d'un groupe? Si le groupe n'existe plus, quel est le pouvoir de chacun? Et si l'ailleurs n'existe plus, n'est-ce pas où nous sommes déjà que cet ailleurs devra être cultivé?
"La liberté, nous dit Jacob, n'est pas le contraire de l'emprisonnement. Elle est en chacun de nous".
Theophile Megny-Marquet