On a tous en tête la notion de chaîne alimentaire, où chaque prédateur devient proie. Même si pour Judy, une lapine toute mignonne, il n’y a que les prédateurs et les proies, les seconds étant les victimes. Son rêve est de rendre le monde meilleur en devenant policière. Manque de pot, c’est un lapin ; elle se heurte donc à la couche de préjugés de la profession, et à l’incertitude de ses parents qui la voient vendeuse de carottes, un métier plus sûr qui lui éviterait de chercher sa place. Mais c’est une fonceuse, elle fait tout pour réaliser son rêve, finit première de sa promotion et intègre le poste de police de Zootopie, la ville idéale où « chacun peut devenir ce qu’il veut ». Pourtant, ce slogan idéaliste ne correspond pas à la réalité qu’elle va découvrir : tout le monde a la place que la présomption lui attribue. Pourtant elle va saisir la chance de sa vie, au milieu de deux contraventions, en se voyant chargée d’une enquête où elle doit retrouver une loutre, sans quoi elle serait renvoyée, dixit son chef Bogo, qui refuse de la considérer capable de résoudre une enquête que ses rhinocéros, loups et hippopotames n’ont pas résolu en deux semaines. Mais notre héroïne va découvrir bien plus que ce à quoi elle s’attendait : son affaire va cristalliser toutes les autres, à savoir une quinzaine de disparitions. Judy a pour seul associé Nick, un renard fraudeur qu’elle menace de dénoncer s’il ne l’aide pas. Ainsi leur parcours prend pour arrière-plan cette société animale – qui est une bonne copie de la nôtre – jusqu’à ce que les deux soient superposés dans un scénario réjouissant, alimenté par un sacré rythme et de bons personnages. Il n’y pas un temps mort, tout s’enchaîne avec une linéarité surprenante, des scènes de poursuite à celles de franche rigolade, mention spéciale à Flash le paresseux, arrêté pour excès de vitesse.
Les enfant y trouveront largement leur compte, mais les spectateurs un peu plus avertis peuvent y voir sinon un film social un film sur l’altérité du monde. Une société présentée comme parfaite, basée sur la libre circulation pour tous, le travail collectif et la cohabitation : comment ne pas penser à l’Europe, actuellement fragmentée ? Zootopie a d’autant plus des revers, que l’opinion commune ignore ou ne veut pas voir. Certes, ils sont traités sur le ton de l’humour – on pense par exemple à la Mafia, qui parodie le Don Corleone de Coppola – mais d’autres sont bien plus sérieux. Lorsque le film bascule dans une dimension politique, un nouveau régime apparaît, basé sur la terreur, dont tous les prédateurs sont exclus ; on avance une théorie scientifique selon laquelle ils ont gardé leur agressivité instinctive et qu’elle peut resurgir à tout moment. On peut penser au terrorisme, son arme étant la division sociale qu’il suscite, la peur de l’autre, de la différence. Mais que se passerait-il si les victimes devenaient les prédateurs ? Le film exploite plusieurs possibilités, plusieurs pistes pour finalement aboutir à un discours sur le vivre-ensemble, plus que nécessaire pour comprendre et accepter l’autre. De son côté, Judy en apprend beaucoup sur elle même. Rythmé par une chanson de Shakira dont on se passerait volontiers, Zootopie est plus que jamais le film à voir, tant par son ingéniosité que par son message, et mélange son sens du divertissement avec celui de le communication. L’animation n’a jamais paru en si bonne forme.