Décidément, Disney vit un véritable état de grâce depuis sa renaissance, via "La Princesse et le Grenouille" (au point qu’on parlera, certainement, d’un nouvel âge d’or du studio dans quelques années). Avec "Zootopie", il frappe, une nouvelle fois, un très grand coup et nous livre, sans doute, son premier "dessin animé à message politique adressé aux enfants"... ou, à tout le moins, celui qui s'affiche de la manière la plus frontale ! En principe, je suis plutôt gêné par ce genre de procédé, tant l’aspect politique se réduit souvent à une vague leçon de morale manichéenne. Ce n’est pas le cas de "Zootopie", qui traite, entre autres choses, du problème du racisme, des préjugés et de l’intolérance avec une intelligence métaphorique et une vulgarisation assez impressionnante.
Les prédateurs soupçonnés d’être génétiquement prédisposés à la violence, les tensions entre communautés qui éclatent en raison d’un fait divers exploité à des fins politiques ou les renards qui se résignent à leur statut de chapardeur malhonnêtes pour justifier leur larcin trouvent, bien évidemment, un écho terrible dans nos sociétés actuelles et leur caractérisation au monde animal offre une piste de réflexion inattendue qui, on l’espère, marquera le jeune public.
Pour autant, "Zootopie" en se contente pas d’avoir du fond (et quel fond !), il a, également su soigner la forme. Et, autant le dire tout de suite, le film est visuellement superbe. Plus encore que la qualité de l’animation (phénoménale), c’est la diversité des lieux proposés et le détail accordé aux multiples espèces présentes qui forcent le respect. Les animaux sont représentés à leur véritable échelle, ce qui ouvre des perspectives fantastiques que les créateurs n’ont pas manqué d’exploiter
(à commencer par l’intervention dans la mini-vile des musaraignes ou le rôle de Judy, petite lapine qui veut s’imposer dans une profession qu’on lui prétend fermée et dont la taille est un élément supplémentaire venant illustrer son obstination).
Le concept même du film, qui veut que les animaux aient évolué de l’état sauvage à l’état civilisé est, également, source de bien des gags très réussis (ah, le camp de nudistes où les animaux n’ont pas de vêtements !). "Zootopie" ressemble, d’ailleurs, à une mine inépuisable de gags et autres dialogues hilarants qui trouvent une résonance dans notre quotidien ou dans notre culture. Comment ne pas hurler de rire devant la scène de Flash, le paresseux préposé aux immatriculations
qui rend service "à son rythme"
? Idem pour les apparitions du parrain Mr Big (Manuel Tadros à la VF),
victime d’une arnaque à base de tapis en peau de fesse de putois et son génial "refroidissez-les !"
Quant à l’adjointe au Maire Bellweether (Claie Keim), je ne me suis pas encore remis de
son mug
… Même les détails les plus infimes sont à mourir de rire, comme
les bruitages du spectacle de début, l’application smartphone pour danser avec Gazelle ou encore les DVD pirates qui paraîtront bien familiers aux fans de Disney
. Rarement un dessin animé Disney ne se sera montré aussi mature dans son humour (ce qui va dans le sens de la maturité du propos du film). Les seconds rôles sont, par ailleurs, tous plus réussis les uns que les autres, du Chef Bongo (Pascal Elbe) qui "s’en cogne" à l’officier gourmand Clauwhauser (Fred Testot) en passant par Yax, la yak naturiste (Thomas Ngijol) ou encore l’excellent Finnick qui fait plus jeune que son âge (Teddy Rinner). Et ne parlons même pas des deux héros qui parviennent, non seulement, à être au diapason du ton irrésistiblement comique du film mais qui parviennent, surtout, à montrer des failles qui viennent considérablement densifier leurs personnages. La lapine Judy (Marie-Eugénie Maréchal) est absolument craquante et, surtout, touchante dans son ambition et ses rêves.
Son trajet vers Zootopie, où elle découvre le monde au son du "Try Everthing" de Shakira est une petite merveille.
Quant au renard Nick (Alexis Victor), il est aussi charmeur qu’amusant dans ses arnaques et, surtout, trouve l’équilibre parfait dans son positionnement d’arnaqueur contraint d’aider la police. Ces deux personnages permettent, d’ailleurs, au film d’aborder un autre thème, celui du dépassement de soi et du refus de se plier aux règles préétablies. Un concept typiquement américain mais qui est, ici, traité avec une subtilité intéressante et un charme indéniable (la BO de Michael Giacchino y est pour beaucoup). Enfin, "Zootopie" sait se montrer riche sur le plan de l’émotion,
que ce soit lors de l’agression de Judy enfant en début de film ou lors de sa demande de pardon… ces deux scènes ayant le bon goût de s’achever sur une note fun qui leur évite le piège du cliché
. Décidément, il n’y a pas grand-chose à reprocher au film qui a bien mérité son carton au box-office. Tout au plus pourra-t-on regretter quelques facilités scénaristiques par-ci, par-là ou quelques explications trop appuyées. Ce serait oublier qu’il s’agit d’un film destiné aux enfants… Il faut dire qu’on aurait tendance à l’oublier !