Je suis satisfait : nous ne sommes qu’au 4 avril, et j’ai déjà trouvé le film le plus con de l’année. Jusqu’alors, je pensais que ce serait "Les enfants rouges", mais non, car ce film-là possède au moins un semblant de scénario, même mal raconté. Et que le jury du festival de Venise lui ait attribué son grand prix me laisse de glace, l’évidence est là : Tsai a perdu tout son talent.
Les caractéristiques du style de Tsai sont connues : longs plans-séquences avec une caméra qui bouge très peu (ce qui est reposant), dialogues rares, absence de musique, tournage dans Taipeh, la capitale de Taiwan (à une exception près, son précédent film, une commande du Louvre, "Visage", filmée en France avec des vedettes françaises, et un bide noir), un personnage central déséquilibré, toujours interprété par Kang-sheng Lee, qui n’est PAS acteur et n’est apparu que dans un seul film d’un autre réalisateur (en l’occurrence, une réalisatrice), actes jamais motivés, et une omniprésence de l’eau, soit visible sous forme de pluie, soit audible via des bruits de tuyauterie. Pourquoi pas ? Mais ici, ces caractéristiques sont exacerbées jusqu’à la caricature et l’exaspération du spectateur ; et Tsai nous refait le coup de la fin de "Vive l’amour", quand une fille, sur un banc dans un parc, pleurait durant une bonne dizaine de minutes.
De ce festival de vide prétentieux, je ne donnerai que trois exemples.
Lee gagne (mal) sa vie en portant, immobile à un carrefour, une pancarte faisant de la publicité pour de l’immobilier. Il est filmé en compagnie d’un autre homme, en plein vent, dans le vacarme de la circulation, nul ne fait attention à eux, et ils ne parlent pas. Cette scène revient trois ou quatre fois et dure plusieurs minutes, la caméra restant vissée au sol. Lors de la dernière,
elle s’approche pourtant de Lee, qui entonne un chant patriotique et se met à pleurer
.
La deuxième scène est plus sybilline : Lee s’est introduit dans le réduit sordide où un père vit avec ses deux enfants. La petite fille s’est procuré au marché
un chou très gros, l’a maquillé pour le faire ressembler vaguement à un personnage, et elle l’a installé à côté d’elle dans leur lit. Les enfants dorment, et le père n’est pas là. Lee entre, est fasciné par le chou maquillé, il l’embrasse, puis l’« étouffe » longuement sous un coussin. Dès qu’il estime que le chou est mort, il le déchiquète et le dévore interminablement, car le chou est énorme. Et lorsque le légume est à demi-consommé, il se met à pleurer. Bis repetita placent
. Cette scène dure plus de dix minutes, en plan fixe là encore, et sans dialogue.
La troisième scène montre Lee et une fille, debout, immobiles au centre d’une très grande pièce en ruines. Ils ne disent rien et respirent très fort. De temps à autre,
Lee boit au goulot d’une fiole minuscule, et son visage rougit de plus en plus, tandis que la fille commence à pleurer. Au bout d’une dizaine de minutes, la caméra change de point de vue et les filme de dos. Alors la fille s’en va, et Lee reste immobile encore trois ou quatre minutes, puis il se décide à sortir lui aussi,
mais la caméra continue de filmer la pièce vide durant deux ou trois minutes supplémentaires, jusqu’au générique de fin.
Je ne doute pas que ce sommet du cinéma doit plaire énormément à Jean-Marc Lalanne ; peut-être moins à Éric Neuhoff. Vous sortez de là pour précipiter sur n’importe quel blockbuster avec Bruce Willis, Schwarzy ou Stalonne. Ces trois-là devraient supplier Tsai de les engager pour son prochain chef-d’œuvre.