Tout juste deux ans après les aveux médiatisés du coureur aux sept victoires dans la Grande Boucle, le cinéma s'attaque à cette affaire de triche sous fond de gros sous, épisode exemplaire dans son genre. Et pas n'importe comment, de manière ultra punchy, avec le parti pris de laisser la psychologie de côté pour privilégier les faits, rien que les faits. Ainsi pas de développement d'un éventuel traumatisme d'enfance ou d'une vie opprimée qui mériterait revanche, on démarre directement sur les routes du Tour en 1993. Ce postulat dérangera ceux voulant découvrir le Armstrong privé derrière l'homme publique, mais la réalisation dynamique de Stephen Frears justifie rapidement ses intentions : s'immerger dans les zones noires du cyclisme via un cas emblématique. Ni héros, ni salaud. Le teasing du film a insisté sur ce point, le pari est ténu, néanmoins tenu d'extrême justesse car en grande partie à charge contre son personnage principal. Heureusement le prologue situe le tournant de 1994 dans le cyclisme, à savoir la généralisation de la prise d'EPO dans le peloton, ainsi Armstrong suit un mouvement en place, tout juste le fait-il avec un peu plus de zèle que les autres. Ce qui prime sera donc l'étonnement de voir passer un honnête coureur de « spéciales » à un statut de monstre de « montagne », le traitement du phénomène par les médias, le milieu du sport, les politiques, les organisateurs du Tour eux-mêmes (implication nette et sans appel de l'Union Cycliste International en point d'orgue). Au-delà de la prestation de Ben Foster, dont le mimétisme avec LA est sidérant, le film vaut pour son montage survolté, ses inserts brillants entre archives, séquences rejouées et commentaires originaux (les téléspectateurs de France Télévisions reconnaîtront la voix inimitable de Patrick Chêne), un sens du gigantisme et de la démesure en concordance avec le culot cynique du maillot jaune et son équipe. Parfois le récit rompt avec sa spirale grandiloquente pour d'authentiques et troublants moments d'humanité : le malaise d'Armstrong face aux malades du cancer le prenant pour exemple, sa séance d’auto-persuasion devant le miroir, les tensions avec son rival de l'intérieur Floyd Landis, ses entretiens, d'abord feutrés puis violents, avec le journaliste David Walsh dont l'enquête guide l'essentiel du long-métrage. Nous ressortons de la projection avec la sensation d'avoir composé avec la dualité d'un être complexe, à l'origine d'une œuvre de bienfaisance elle-même basée sur un mensonge, l'auteur de constantes menaces, jeux d'influence, stratagèmes pour conserver sa place au sommet. Un arriviste ? Sans doute, mais pas du genre que l'on condamne avec suffisance. Doutes et réflexions s'insinuent de bout en bout, à l'image d'un générique de fin saupoudré de citations contradictoires des protagonistes du scandale sur fond de Leonard Cohen. Tout jugement paraît vain, sinon de considérer le titre de la chanson en question, Everybody knows, comme l'aveu d'un crime englobant bien au-delà du banc des accusés.