Encore un film où j'allais presque conquis d'avance. La sensation de Cannes 2014. La presque palme d'or. De Xavier Dolan, j'ai aimé "J'ai tué ma mère" un peu, et "Laurence anyways" beaucoup. Et "Tom à la ferme", pas du tout. Le wonderboy est inégal. "Mommy", son plus mauvais film à ce jour, célèbre en fanfare le grand retour des années 80. Carax, Beneix, et même Besson et Zulawski. Grandiloquence, lyrisme publicitaire, humour bien gras, hystérie. Clip vidéo. Pornographie sentimentale. Caricatures. Karaoké. Cette idée de cadre carré, qui s'ouvre parfois pour laisser entrer les rêves et se referme sur la dure réalité (procédé d'une littéralité navrante), est vite insupportable, et symbolise l'échec du film, qui ne repose que sur des artifices. Soit on adhère d'emblée à cette prise d'otage, on succombe à la sidération face aux bombardement, soit on reste à la porte de cet univers qui se veut suffocant et palpitant, mais se révèle surtout factice et épuisant sur la longueur. Le scénario tient en quelques lignes, Dolan semble s'en moquer dès les premiers cartons, annonçant un improbable film d'anticipation législative (?!). Ce qu'il veut mettre en scène, c'est le torrent des sentiments (comme Cassavetes, mais chaussé des pataugas des derniers Terrence Malick), entre cette mère folklorique en ado attardée, ce fils épouvantable, animal sauvage, mais surtout tête à claques, et la voisine d'en face, samaritaine psychopathe frappée de bégaiement par quelque mystérieux traumatisme. Mais les sentiments ne sont qu'un hochet, un prétexte à surenchère, entre les mains du réalisateur, qui s'il est un bon styliste (au sens prêt-à-porter) ignore les mérites de la subtilité et de la sensibilité : on ne voit qu'un catalogue tape à l'œil d'intentions, lourdement tartinées de ralentis, de mouvements de caméra virtuoses, de couleurs saturées, et soulignées par des choix musicaux passe-partout et singulièrement roublards (Oasis, Counting Crows, Céline Dion, Andréa Boccelli, etc.). Hors champ, une victime des frasques du jeune "héros" soigne ses brûlures au second degré. Il s'appelle Kevin Julien. Si l'on analyse ce que Dolan en fait, on se trouve face à tout ce qui rend son film si odieusement antipathique. Kevin Julien n'avait qu'à pas se trouver là, sur le chemin de Steve, le voyou flamboyant qui peut tout se permettre, tel un petit Sarkozy du Saint Laurent. "On ne va pas lui faire une statue à Kevin !" s'exclame même au début le personnage de Mommy, incarné par une Anne Dorval souvent lâchée en roue libre sur des tunnels de dialogues ineptes (en joual éructé). Et quand la justice tente de faire une incursion pour mettre en péril l'harmonie familiale retrouvée, c'est encore pour le maudire, le Kevin, d'empoisonner de "politiquement correct" l'existence de nos héros si pleins de vie et d'amour. Et finalement Dolan oublie carrément de fermer son intrigue secondaire : Kevin Julien est voué aux limbes et la justice à l'évaporation. Comme l'affreuse "Vie d'Adèle" l'an dernier, "Mommy" rejoindra vite fait le club des films dispensables et oubliés, et on se demandera comment une telle croute a pu susciter autant de commentaires et de louanges.