Deux lesbiennes "intellos" errent dans Palerme, dont est originaire la plus âgée (qui conduit), Rosa (Emma Dante elle-même). Clara, au look étudié (Alba Rohrwacher), lui reproche de s'égarer à dessein, l'empêchant ainsi de rejoindre la noce de son meilleur ami. Une famille, qui a beaucoup de points communs avec les "Affreux, sales et méchants" romains de Scola (en plus "aisé" cependant, et en beaucoup moins drôle), les Calafiore, s'entasse dans la Fiat fatiguée du chef de famille, le tonitruant Saro, conduite par la vieille Samira (Elena Cotta), de retour du cimetière où est enterrée sa fille, la deuxième épouse de Saro. Elle s'y rend tous les dimanches. Les deux femmes et les Calafiore n'avaient aucune raison de se rencontrer, mais le destin en décide autrement en faisant emprunter à Rosa une rue d'un secteur populeux et poussiéreux, la "Via Castellana Bandiera" (qui donne au film son titre d'origine). C'est la rue des Calafiore, qui arrivent en sens inverse. Aucune des conductrices ne veut céder le passage... Emma Dante (co)adapte sa pièce et met pour la première fois en scène au cinéma. L'essentiel de la dramaturgie est très théâtralisé, resserrée qu'elle est sur le "duel" des deux conductrices, se poursuivant des heures durant, puis toute une nuit, provoquant la perturbation dans le quartier, puis, rapidement, donnant matière à réjouissance
(un voisin propose de parier : laquelle des deux obstinées cédera la première ?).
L'enjeu paraît dérisoire : une affaire entre deux têtues. Mais l'anecdote est secondaire, et l'histoire symbolique, allégorique (surtout quand, au premier plan large, on constate que les deux voitures peuvent en fait se croiser !). Chacune des protagonistes a de graves problèmes : Samira, c'est l'"étrangère" (elle est albanaise), ne se sentant à l'aise qu'avec le plus jeune des beaux-enfants de sa défunte fille (dont elle partage la chambre), un ado de 16 ans, recroquevillée dans son chagrin (perdre sa fille unique, si jeune), et ne s'épanchant que sur la tombe de celle-ci, dans la compagnie des pauvres chiens errants qui vivent dans la nécropole (poignante scène d'ouverture) ; Rosa, en délicatesse avec sa mère, est marginalisée par ses moeurs. Cette lutte "impitoyable", façon western, est une fable sur l'exclusion, la solitude, celle dont on peut mourir. C'est malheureusement un peu languissant, et le passage à l'écran manque de délié. L'épilogue (5 min superbement suggestives) apporte cependant une dimension spectaculaire, et très visuelle.