Qui aurait cru que la saga "Rocky" connaîtrait un nouvel épisode après le très réussi "Rocky Balboa" (qui ressemblait à un magnifique adieu un personnage) et, surtout, que ce nouvel épisode se ferait sous la forme d’un spin-off se concentrant sur le personnage du fils d’Appolo Creed dont on n’avait jamais entendu parler jusque-là ?! Cet improbable pitch ressemblait fortement à une tentative opportune (et maladroite) de producteurs en mal d’inspiration pour engranger quelques dollars supplémentaires sur le (vieux) dos de l’Etalon Italien… Et ces craintes rendent la surprise d’autant plus belle car "Creed" est une formidable réussite ! Tout d’abord, et c’est trop rare pour le souligner, le metteur en scène Ryan Coogler fait montre d’un extraordinaire talent et se pose comme l’artisan principal de la réussite de "Creed". Dès les premières secondes de son film, il impose le respect par un plan carcéral (qui s’avère être une prison d’enfants !) et qui situe immédiatement le personnage d’Adonis dans son mal-être. Inutile, dès lors, d’en faire des tonnes par la suite pour expliquer ses motivations. Coogler va, alors, constamment prendre le spectateur à revers en lui proposant des personnages échappant à la caricature grâce à leur épaisseur scénaristique
(Adonis, gamin des rues ayant grandi dans le luxe sans pour autant refréner ses instincts de combattant, sa petite amie chanteuse atteinte d’une trouble de l’audition qui la rendra prochainement sourde, la veuve Creed qui s’amourache d’un gamin qui est pourtant le symbole de l’infidélité de son défunt mari…)
. Le talent du réalisateur est, également, formel puisqu’il a su soigner son rythme, sa BO et, surtout, ses scènes de ring, au point de mettre à l’écran le combat le plus immersif de toute la saga
(le premier combat pro d’Adonis)
grâce à un fantastique plan-séquence (visiblement pipeauté mais passons…) qui nous plonge dans l’arène comme jamais. Avec un tel style, Coogler aurait pu faire de l’ombre à l’héritage de la saga "Rocky" mais il a l’intelligence de faire montre d’un véritable respect pour l’œuvre, qu’il a, si on en croit ce qu’on voit à l’écran, étudié sous toutes ses coutures. Ce respect ne se matérialise pas seulement par les multiples clins d’œil faits aux fans (évocation des illustres disparus, retour dans des lieux cultes, référence en pagaille…) puisqu’il sert carrément de moteur au scénario (déjà formidable en soi avec son questionnement sur le poids de l’héritage paternel et l’importance de la transmission), tant sur le plan de sa structure (on retrouve beaucoup du premier "Rocky" dans ce "Creed", mais avec beaucoup moins d'austérité) que de sa puissance méta, le statut d'icone de Rocky auprès des habitants de Philadelphie (et des jeunes boxeurs) faisant terriblement écho à la place de la saga dans l’inconscient collectif. C’est, d’ailleurs, là que la présence de Sylvester Stallone (qui rempile dans le rôle pour la 7e fois), prend tout son sens… au point de transcender le film. J’ai toujours été un très grand admirateur de l’acteur (souvent décrié, pourtant) qui, avec le personnage de Rocky, tenait une de ses plus belles prestations, mi naïf mi-brute. Il parvient, ici, à nous épater une fois encore par sa présence merveilleuse de candeur... et, ô miracle, est parvenu à mettre la profession d’accord puisqu’il a (scandaleusement) loupé de très peu l’Oscar du meilleur second rôle ! Pour autant, Stallone n’est pas le seul intérêt du casting… loin de là ! Outre la multitude de seconds rôles solides (Phylicia Rashad, Richie Coster, Graham MacTavish…) et de pro de la boxe conviés pour l’occasion et offrant une véritable crédibilité à l’entreprise (Tony Bellew en adversaire principal plutôt bien écrit avec son épée de Damoclès au-dessus de la tête mais aussi Andre Ward, Gabe Rosado, Ricardo Padman Mcgill…), on ne peut que saluer les prestations de la belle Tessa Thompson qui évite le piège de la nunuche et, surtout, du très surprenant Michael B. Jordan, qui fait mieux que confirmer tout le bien qu’on pense de lui et s’impose, avec son jeu tout en nervosité et son charisme tranquille, comme un prétendant à la A-list d’Hollywood. Les deux acteurs forment, avec le taulier Stallone, un trio formidable auquel on s’attache immédiatement
(il faut dire que le "tonton" asséné par adonis à l’ancien rival de son père y est pour beaucoup).
Enfin, "Creed" s’achève par
l’attendu combat final (passage obligé de tous les épisodes de la saga "Rocky") qui se transforme rapidement en véritable plaisir coupable où on se prend à sourire béatement lorsque retentit le légendaire thème "Going the distance"
. Là encore, Ryan Coogler respecte la légende tout en s’appropriant totalement la scène par le biais
du formidable réveil d’Adonis après avoir été sonné, qui révèle, mine de rien, sa motivation profonde
. "Creed" est, donc, mieux qu’une réussite, c’est une véritable démonstration que la saga "Rocky" est définitivement une petite merveille d’émotion pure (qu’elles soient dramatiques ou jouissives) qui ne s’est pas encore asséchée sur un plan scénaristique après 7 épisodes. Peu de saga peuvent s’en vanter, surtout avec un tel sujet…