Certains films sont comme certains vins... A la mise en bouche, on sait d'avance qu'ils ne seront pas des grands crus, mais l'on apprécie leurs générosité. J'ai vu "Un taxi mauve" quand j'étais tout jeunot, à l'époque je l'avais trouvé aimable, frais et plein de charme. Du magnifique roman de Michel Déon, Boisset n'en avait conservé que quelques arômes, les plus significatifs.
En le revoyant cette nuit, je pensais qu'il allait répondre à mon insomnie. J'en avais comme souvenirs ces longues balades un peu pesantes, avouons-le, dans les landes, un Noiret tout en fêlures, une Rampling intrigante, un Fed Astaire jovial, mais aussi une vieille légende comme je les aime, une famille frappée d'une malédiction et l'Irlande, l'Irlande, l'Irlande...
Certains films sont comme certains vins... j'étais sans doute un peu jeune à l'époque, pour en apprécier toutes les qualités. "Un taxi mauve" bonification des ans aidant, m'est apparu, dans toutes son essence, équilibré et séveux, un film très élégant, puissant et harmonieux.
Quelques notes d'une musique familière (irremplaçable Philippe Sarde), un paysage nimbé de nostalgie, et une voix-off robuste et tendre à la fois, Noiret !
"De Jerry, je ne savais à peu près rien, et de moi Jerry ne savait rien. L'idéal pour une amitié solide née au hasard d'une rencontre dans la lande"
Le film s'écoulera ainsi pendant 1h58. au gré de dialogues finement ciselés pour chaque personnage, dont Yves Boisset fait la part belle, un "Taxi mauve" est un film d'acteurs.
D'une première rencontre capiteuse entre Sharon (Charlotte Rampling) et Philippe (Philippe Noiret)
, d'un vieux médecin altruiste (Fred Astaire), au piquant Taubelman (Peter Ustinov) ou encore à la verdeur de Jerry (Edward Albert Jr)... ce sont autant d'âmes échouées, qui se croisent et vont apprendre à s'apprécier, à se retrouver...
La relation entre Sharon et Philippe, est sans doute, dans le paysage cinématographique, l'une des plus emblématiques des amours contrariés. Elle est le feu, il est tantôt vent, tantôt eau. Rampling est magistrale, Noiret détaché et séduisant.
L'Irlande, tient sa place au cœur de ce récit empyreumatique et sépia, tout en retenu, dont on sent que le moindre incident provoquera une irrémédiable oxydation. Tonino Delli Colli, chef opérateur émérite ("La vie est belle", "Le nom de le rose") joue intimement de toutes les teintes du pays, loin, très loin de la vision touristique.
Autre personnage saisissant, Taubelman. Trouble, censé tout savoir, tout connaître et avoir tout vécu, il n'est une bouteille à la mer, dont la message se serait éventé au gré de ses flux. Ustinov y trouve là l'un de ses meilleurs rôles.
En redécouvrant ce film, dame mature aidant, j'ai été pris de scrupule. L'absence, le deuil, la difficulté d'être aimé pour ce que l'on aime chez l'autre, l'amitié, les amours contrariées, sont autant de thèmes habilement traités. "Un taxi mauve" était dès sa sortie un film loyal, il exprimait parfaitement ses qualités annoncées. Je n'y étais pas insensible, au contraire, d'où le fait de la revoir par une nuit d'insomnie, et dans tous les cas beaucoup moins que le public, la critique, qui n'ont su y voir alors qu'un film mineur, un peu piqué, alors qu'en fait il n'est est rien...
Certains films sont comme certains vins. Celui-ci, est puissant. Corsé, plein , généreux , doté d'un riche bouquet de belles émotions.