L’affiche vendait du rêve en terme d’esthétisme visuel et, je ne vous le cache pas, c’est cela qui m’a fait me précipiter vers cet « Anina ». Sur ce plan là d’ailleurs, je dois bien l’avouer, le film d’Alfredo Solderguit réussit son pari. Je trouve ça très beau. Les textures comme les mouvements sont quand même très élégants. Certes, je ne trouve pas que tout soit réussi (j’ai notamment senti de lourdes limites techniques en termes de mouvements des personnages et des plans ; de même, je trouve qu’il y a aussi une certaine répétitivité dans les décors et les situations qui finit par lasser), mais globalement, je dois bien reconnaitre qu’assez régulièrement, mon regard se laissait séduire par un détail ou une texture. Voilà qui est donc fort plaisant pour un film. Le seul problème, c’est que mis à part cet aspect là, c’est la circonspection qui l’emporte pour tout le reste. Mais quel vide ! L’histoire racontée ici en une heure et demie pourrait se raconter en dix minutes tellement elle se réduit à peu de choses. A cela s’ajoute le fait que celle-ci ne brasse finalement que des enjeux bien maigres qui, en tout et pour tout, se réduisent à une dispute de cours de récréation. Il n’y a pas non plus de mots prononcés plus haut que le précédent, pas de risques pris non plus en termes d’atmosphère, de vocabulaire ou de forme. On sent vraiment la volonté de ne choquer personne, de ne perdre personne, de ne déstabiliser personne. Alors, je vous vois tout de suite venir. En me lisant, vous êtes en train de vous dire : « Mais quelle cruche cet homme-grenouille ! N’a-t-il donc pas compris que ce film est destiné aux plus petits enfants et qu’il a été adapté pour eux ? Voilà qu’il le juge comme si ce film avait été calibré pour plaire à des adultes ! Mais le pauvre ! Il est totalement à côté de la plaque ! Il ne faut pas juger ce film par rapport aux goûts d’adulte, mais bien par rapport aux goûts d’un enfant !» De ce point de vue, vous n’auriez pas totalement tort. Mais d’un autre côté, je pense qu’il serait tout de même bon qu’on se pose la question de ce qu’on entend par « goûts de l’enfant. » Est-ce ce qu’on se fixe sur ce que les enfants apprécient pour eux-mêmes, ou bien est-ce qu’on se fixe sur ce que les adultes apprécient pour leurs enfants ? On dit souvent : les enfants n’aiment pas la violence, ils n’aiment pas ce qui est déstabilisant, ils n’aiment pas être confrontés à des univers peu familiers… Personnellement je pense plutôt que ce sont les adultes qui n’aiment pas que leurs enfants soient confrontés à cela. A m’appuyer sur mes propres souvenirs d’enfants, ou bien tout simplement à observer la marmaille qui m’entoure, je constate que les enfants sont fascinés par l’étrange, ne sont pas rebutés par les thématiques crues de la vie, et que ne pas comprendre l’histoire et toutes ses subtilités n’est pas forcément quelque-chose de rebutant pour eux. Pour cela, mettre un gamin, même du plus jeune âge, devant un Miyazaki, est une expérience riche d’enseignements. Alors certes, une fable innocente et simpliste comme cette « Anina » peut très bien les séduire tout autant. Après tout, ça aura le mérite de rendre la chose plus accessible, notamment aux plus petits. Ce n’est certes pas faux. Mais dans ce cas là, si l’objectif est réellement l’accessibilité aux plus petits, pourquoi faire un film d’une heure et demie ? En toute honnêteté, un épisode de 20 minutes aurait été beaucoup plus adapté, surtout pour un propos et une aventure aussi courte et simpliste. Vouloir canaliser l’attention des plus petits aussi longtemps avec si peu, pour moi, c’est totalement contre-productif. Ce raisonnement m’en conduit même à cet étrange bilan. En fin de compte, si je résume, ce film est trop fade et vide pour plaire aux adultes, trop timorée et bébête pour que les enfants d’un certain âge s’y retrouvent, et trop long pour satisfaire les plus petits. Bref, ce film n’est destiné à personne et ne satisfera pas grand-monde. Et pourtant, par un jeu de pirouettes intellectuelles et de projections qu’on se fait sur les enfants, certains trouveront malgré tout le moyen de vanter les mérites de ce film. Qui ? Tout simplement les parents. Ils se seront fait chier comme des rats morts à regarder ce film, mais ils seront content car rassurés, en tant que parents, d’avoir montré à leur enfant un monde inoffensif, où il ne se dit rien, où les enfants ne sont jamais vraiment cruels, et où les mendiants qui viennent chanter dans les bus voient systématiquement leur chanson reprise en chœur par l’ensemble des passagers… Alors d’accord. On peut se convaincre que c’est ça que veulent voir les enfants. Moi personnellement, je pense qu’un bon Totoro en DVD sera toujours mille fois plus efficace qu’une œuvre formatée projetée dans un lieu qui, pour être honnête, n’est pour moi pas vraiment fait pour les enfants. A chacun de faire son choix sur cette question là. Mais il me semble que ce film nous démontre qu’il n’est pas si inutile que cela d’au moins se poser la question…