Je ne partage pas l'euphorie générale de mes amis, je ne dirais pas que l'année 2015 est pliée maintenant que "Nightcall" est entré dans le game, ce qui n'empêche que j'ai beaucoup aimé. Je dois dire que j'étais dedans dès les premières images et jusqu'au bout de l'intrigue, bien rythmée et dont la progression se sent. Il faut dire que le déroulement de l'histoire est très académique (ce qui n'est pas forcément un défaut), on a notamment le droit au cliché très cool du train-train quotidien en accéléré, sur fond de musique entraînante, gimmick hérité de "Un Jour Sans Fin" et vu depuis dans je ne sais quels "Lord of War", "Breaking Bad" et autres "Loup de Wall Street", preuve qu'il n'y a pas que du mauvais dans les clichés puisque ces œuvres sont géniales. C'est plutôt par l'univers qu'il créé que le film sait se montrer original. C'est une plongée aussi fascinante que dérangeante dans un tableau de L.A. de nuit qui n'est pas sans rappeler celui dépeint dans "Collatéral" et autres bébés de Michael Mann (le film sait au moins de qui s'inspirer), mais qui cache un milieu régi par le trash, ou la dignité humaine s'écrase face à la recherche de sensations toujours plus fortes. Un milieu absurde qui recherche l'image la plus ignoble mais se refuse à diffuser la moindre grossièreté". Tout en questionnant directement nos rapports aux médias, le film réussit parfaitement à communiquer cette addiction à l'adrénaline et cette progression dans le sensationnalisme. En toute première loge des actions de Lou et en rentrant dans l'intimité du personnage, Gilroy nous place à la fois comme spectateur et comme complice, ça fait mal mais c'est très fort. Le pire étant que comme dans "Gone Girl", même pas besoin de regarder un film pour trouver un milieu et des personnes aussi aliénées par le sensationnalisme, il suffit de regarder le journal TV. Certains diront que le film gâche son message en choisissant comme protagoniste un type complètement fou, la critique sociale s'annulant toute seule. Je dirais que d'une part Lou n'est pas aussi fou que l'on peut l'entendre, ce n'est qu'un sociopathe comme il en existe tout autour de nous et que s'il en est amené à devenir ce qu'il devient, c'est évidemment un pur produit de sa société: nourrit aux médias à sensations, à la vulgarisation de la violence à la TV et qui veut sa part du gâteau comme tout le monde. Et puis c'est la seule explication que j'ai trouvé à la citation qui ouvre le film Il n'est pas nécessaire d'être Hannibal Lecter pour franchir cette ligne, Lou a simplement un sens de l'éthique particulièrement élastique. Comme à son habitude, Jake Gyllenhaal s'abandonne à son personnage. Pas seulement son jeu mais aussi sa perte de poids Christianbalesque et les yeux exorbités qu'il en retire, lui donnant l'allure d'une bestiole nocturne dont les yeux se seraient adapté à l'obscurité style Gollum, ce qui va de paire avec les lunettes de soleil qu'il arbore à chaque rayon de soleil. Quelques symboles de ce genre parsèment la réalisation, ni bêtes ni encombrants. Le film est plutôt doué pour ce qui est de montrer et non de dire. Je dirais que le seul bémol, qui n'en est pas vraiment un, vient de mes attentes de spectateur (assez paradoxal, au vu du discours du film). Comme je l'ai dit le déroulement de l'intrigue a tout d'un "Lord of War", "Breaking Bad", et autres portraits de criminels: ça commence avec un protagoniste naïf et novice en la matière, puis celui-ci grimpe les échelons, acquiert la connaissance, la technique, le matériel et la main d'oeuvre, est confronté à son principal rival dont il vient à bout pour finalement bâtir son empire et dominer le marché...sauf que là où 99% des histoires de criminels se concluent sur la chute de ceux-ci du fait de leur réussite, il se trouve qu'à la conclusion de "Nightcall" son antihéros en est à l'apogée de sa réussite, et n'a d'ailleurs rien perdu du tout pour en arriver là. Ce n'est pas un défaut, c'est simplement différent, et ça conclue correctement le discours cynique du film, il faut dire que "Nightcall" se concentre davantage sur son message que sur son personnage. Mais du coup j'ai quelque part l'impression de rester sur ma faim, comme si je n'avais vu un des films que j'ai cité qu'aux deux tiers. Tout ça me rappelle que comme disait je-sais-plus-qui: ce qui détermine une happy end, c'est l'endroit où l'on choisit de couper.