Dan Gilroy, scénariste reconnu jusqu’alors, et frère du cinéaste Tony Gilroy, passe derrière la caméra pour nous livrer un excellent thriller dans l’air du temps. La dérive des médias, leur soif malsaine de sang frais, leur besoin vorace de scandales et d’émotions, est au centre de Night Call, film important car pleinement adapté à son époque. Par l’entremise d’un sociopathe aussi brillant qu’inhumain, nous découvrons les dessous de l’information à vif, à scandale. Dans les dédales illuminés d’une métropole tentaculaire, Los Angeles de nuit, nous suivons un charognard en quête de sensations, vendeur d’horreur pour une chaîne de télévision sur le déclin. A l’heure du numérique, du sensationnalisme à toute épreuve, à l’heure du voyeurisme pervers de notre société envers l’inconnu mourant ou dans toutes formes de mauvaises postures, Dan Gilroy démontre l’intensité, la dramaturgie d’un potentiel réseau d’image clandestines mais toutefois légales que l’on peut incessamment retrouver sur nos écrans. Certes, le tout s’affiche comme étant très fictionnel, mais l’on ne cesse d’y voir une réalité effrayante.
Au surplus d’une mise en scène nocturne léchée, habile, le cinéaste s’appuie sur les facultés insoupçonnées de son comédien principal. Jake Gyllenhaal, ayant perdu aux entournures quelques neuf kilos, brille de tous ses feux, dans son meilleur rôle jusqu’alors. L’acteur se déshumanise, prend les traits d’un forcené, d’un maniaque, d’un perfectionniste, adepte du beau parler, bientôt le nouveau génie du scandale auprès d’une chaîne dont la directrice de l’information ne se valorise pas de par son empathie. Le monde est ici austère, mesquin, voyeur. Qu’importe les exubérances du scénario, la deuxième partie trépidante de long-métrage, le propos découle d’une certaine forme de logique gênante. Le malaise, l’appréhension, sont une réaction parfaitement normale en rapport à cette montée en force de l’immoralité. Le personnage de Jake Gyllenhaal, s’il est fou, ne fait que progresser lentement mais sûrement vers sa chute ou la gloire. Toujours plus loin, toujours plus fort, mais verra-t-on le bonhomme payer pour son incursion malhonnête dans le quotidien du peuple?
Outre cette critique spectaculaire du cirque médiatique des faits divers, rien n’aurait été aussi captivant sans l’apport de la folie innée du personnage de Lou Blum. Toujours le même Jake Gyllenhaal incarne un personnage énigmatique, ambigu, et j’en passe, élément essentiel pour approfondir le sujet. Autrui n’aurait pas poursuivi sur ce chemin. Lui oui. Cette folie, ce perfectionnisme amène le reporter improvisé à se jouer du destin, on s’en doute, en prenant part à l’action pour mieux vendre. Mais tout n’est pas si facile. Notons accessoirement la présence d’une ressuscitée au casting, en la personne de Rene Russo, actrice bien trop rare depuis des années et qui marque ici un retour gagnant. Complice, dans le fond, du reporter qui lui vend l’atrocité des rues, la directrice qu’elle incarne se rapporte sans le moindre doute à la vision discrètement perverse de notre société pour le malheur des autres.
Brillant thriller, sublime film noir bien ancré dans le 21ème siècle, Night Call s’affiche alors comme l’héritage des grands films du même genre des années 80 et 90. Offrant accessoirement son petit lot d’action, en bout de course, nous ne pouvons nier le fait que le film de Dan Gilroy s’apparente aux grands brûlots de metteurs en scène tels que Sydney Lumet ou encore William Friedkin. Un metteur en scène prometteur est né. Un acteur reconnu confirme son talent et la morale est sauvagement mise à mal. On adore ça et l’on en redemande. Bien que découlant d’un procédé cinématographique vieux comme le monde, on espère pourtant voir et revoir incessamment ce type de film sur nos écrans. Un immanquable de l’année 2014. 17/20