L'apocalypse, des créatures mystérieuses, une privation sensorielle, une héroïne enceinte prête à tout pour s'en sortir... Le rapprochement entre cette adaptation du roman de Josh Malerman et "Sans un Bruit", le film à succès écrit et réalisé par John Krasinski, est bien entendu évident (il y a même une rapide scène dans un décor de potager que les deux films semblent partager tant il est similaire) mais, malgré un contexte presque identique, "Bird Box" y raconte tout autre chose en se focalisant sur la question de la maternité et sur ce qui la définit.
Bâti sur deux lignes temporelles qui s'entrecoupent, le film nous narre, d'une part, les prémices de cette fin du monde où l'héroïne, Malorie, alors enceinte, se réfugie avec un petit groupe de survivants dans une maison pour comprendre le phénomène dont ils sont témoins et, de l'autre, son périple le long d'un fleuve accompagné de deux enfants vers ce qui semble être leur dernière chance de survie cinq ans plus tard. Métaphoriquement, la première nous raconte en réalité les évènements qui vont amener le personnage de Sandra Bullock à devenir biologiquement mère dans un déchaînement de violence et la deuxième à embrasser cette condition de façon aimante et plus spirituelle. Dès le début, Malorie nous est présentée comme quelqu'un avec un sérieux manque d'empathie et incapable d'accepter sa grossesse. Lorsque l'apocalypse éclate et la coupe abruptement de son dernier lien familial (et surtout d'une idée bienveillante de la famille incarnée par Sarah Paulson), le personnage aurait sans doute pu définitivement sombrer mais, en se cachant dans une maison en compagnie d'inconnus, elle va retrouver une certaine idée d'une cellule familiale qui va lui permettre, dans un premier temps, de devenir mère au sens strict du terme, c'est à dire faire tout pour protéger sa progéniture du mal qui évolue au dehors. Par exemple, sa confrontation avec un voisin acariâtre et alcoolique (John Malkovich) la renverra à la sombre figure paternelle avec laquelle elle a grandi, sa rencontre avec une autre femme enceinte (son doppelganger émotionnel) la fera s'ouvrir à la maternité et, bien sûr, le lien amoureux qui va se tisser entre elle et un autre survivant, Tom (Trevante Rhodes), lui apportera un équilibre dont elle avait désespérément besoin pour subsister. Mais, si les événements l'amènent à être mère par la force des choses, il demeurera la question de savoir comment jouer ce rôle dans un monde où les lueurs d'espoir s'amenuisent de jour en jour. Privilégier sans cesse la survie en endurcissant les enfants comme des adultes avant l'heure ou leur offrir tout de même une chance de croire en tous les rêves naïfs propres à cet âge ? Cette dualité se traduit par les regards opposés de Malorie et Tom sur le mode d'éducation à apporter à ces deux enfants. Hélas très rapidement abordées du fait de cette ellipse de cinq ans où il est tout de même bizarre de penser que Malorie n'a pas su évoluer sur une si longue durée, cette parentalité forcée et ces deux différentes approches qui en découlent déboucheront donc sur l'héroïne et les deux enfants en route pour ce qui paraît être un dernier havre de paix au coeur de la forêt. Ce périple prendra des allures de dernière chance tout autant d'un point de vue de la simple survie que celui de la voie à choisir pour Malorie en vue d'enfin comprendre ce qu'être mère signifie réellement...
Même si "Bird Box" n'est pas le film le plus subtil qu'il soit, force est de constater que son discours sur cette notion de maternité est plutôt bien construit dans sa globalité et qu'il a le mérite d'aller jusqu'au bout de son propos. Portés par une Sandra Bullock convaincante sur toutes les nuances de caractère dessinant les contours d'un portrait de mère en devenir, les développements autour de cette thématique centrale sont probablement le gros point fort de "Bird Box" et surtout ce qui lui donne sa raison d'être.
Car, du côté du simple film de survie post-apocalytique, "Bird Box" a hélas beaucoup moins d'arguments pour se défendre.
Alors, oui, bien entendu, l'arrivée de ce cataclysme si particulier fait son petit effet, il est difficile de ne pas se laisser prendre une énième fois au jeu de cette ambiance teintée de mystère et de survie face à la nature étrange de ce mal, le traitement autour de la privation d'un sens primordial sur lequel on pouvait légitimement avoir quelques doutes a priori fonctionne plutôt bien à l'écran (bien moins exploité que celui de "Sans un Bruit", cela dit) et le film a pour lui de conserver un vrai ton réaliste autour de l'incroyable en entretenant sa menace par des pics de violence à l'état brut (pour résumer, on n'est pas dans un film d'apocalypse ado comme dira un personnage en évoquant toutes les adaptations de la littérature SF young adult). Bref, même s'il ne réserve pas de grandes surprises, "Bird Box" fait le job sur ce point... mais c'est tout et bien trop peu.
Hormis la nature de ses monstres et la cécité volontaire qui va de pair, le long-métrage ne propose pas grand chose d'inédit. En plus de la comparaison inévitable avec "Sans un Bruit", l'arrivée de l'innommable dans un quartier résidentiel nous renvoie à l'ouverture de "L'Armée des Morts" de Zack Snyder (l'ampleur en moins), ce groupe de survivants obligés de cohabiter sous un même toit face à l'inconnu nous ramène à l'adaptation de "The Mist" par Frank Darabont, le côté film de monstres aux origines inconnues lorgne vers les productions de J. J. Abrams & co... Et c'est à peu près cela en permanence, malgré une certaine efficacité, "Bird Box" nous renvoie sans cesse à des oeuvres du genre bien plus importantes par le manque flagrant d'originalité autour de son déroulement. Beaucoup trop mécanique et pas avare en facilités sur le sort de certains personnages une fois ceux-ci ayant apporté leur contribution au groupe ou à l'évolution de l'héroïne (le meilleur étant l'employé de supermarché/écrivain : après avoir dévoilé le contenu de son livre et une solution de ravitaillement, son inutilité est telle qu'elle ne peut que le conduire à sa disparition), "Bird Box" risque aussi de laisser sur leur faim ceux qui aiment qu'on leur tienne la main en matière d'explications. Ne se servant finalement que de la donne de SF post-apocalytique comme d'un simple cadre au portrait de mère qu'il choisit de privilégier, le film reste plus que vague sur la mythologie de ses créatures en se contentant de vagues explications (à consonance religieuse sans trop en dire) et élude même carrément un des points les plus intriguants, ceux qui ont vu et survécu
(le seul dénominateur commun est qu'ils ont apparemment une case en moins leur permettant d'accepter l'irrationalité de la vision des créatures mais c'est si rapidement évoqué qu'on n'en saura pas plus)
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Ainsi, en tant que pur film de SF, "Bird Box" peine clairement à apporter une pierre inédite à l'édifice du genre par son classicisme ou des références qui le dépassent. S'il n'y avait pas la destinée réussie de son héroïne vers l'acceptation de sa condition de mère, on serait face a une nouvelle production Netflix certes efficace mais lambda et incapable d'affirmer une quelconque identité afin d'exister par elle-même. Heureusement que son regard plutôt juste sur cette thématique lui donne une raison d'être, il s'en est fallu très peu pour que "Bird Box" n'en ait aucune.