Jaco Van Dormael complète la Bible à sa façon et de main de… Dieu
Dieu est un salaud! C’est évident! Regardez votre petite vie minable, les catastrophes qui hantent l’actualité, la file d’à-côté au magasin qui avance toujours plus vite, la Loi de Murphy, celle qui a pile ou face trouve toujours le côté pour vous attirer des ennuis. Non, franchement, c’est certain, Dieu a le sens de l’humour, mais de l’humour noir. Et si vous n’en êtes pas convaincu, Jaco Van Dormael compte bien vous faire intégrer cette triste nouvelle à grands coups de Bible. Une Bible, d’ailleurs, un peu plus lourde, car riche d’un tout nouveau testament.
Mais attention, ce Tout Nouveau Testament, ce n’est pas l’idée du Père (un Benoît Poelvoorde qui intègre le Top 100 des plus grands méchants de l’histoire du cinéma comique… en jouant un Dieu totalement abject, jouissivement hilarant, indécrottable d’un pc qui lui donne ses uniques pouvoirs et obsessivement jaloux d’un Jésus qui lui a volé la vedette). Peut-être un peu celle du fils (un David Murgia qui comme d’habitude ne tient pas en place et quitte vite sa croix pour un réjouissant caméo). Mais surtout celle de la fille, Ea (Pili Groyne en plein décollage de carrière), digne fille de son père, râleuse et ne supportant pas d’être enfermée avec une mère béate (Yolande Moreau dans ce qu’elle fait de mieux) entre les quatre murs du dernier étage d’un building de Bruxelles (cette ville que Dieu a créé pour pallier à son ennui).
Mais elle a eu une idée, de génie: saboter le pc de son père, balancer les dates de décès de l’humanité toute entière (le « deathleek » et descendre sur la Terre pour faire copain-copain avec 6 nouveaux apôtres bien brusselaires et radicalement différents des douze premiers. Deux mille ans ont passé, il faut du neuf: comme Marc, cet obsédé notoire (qu’il est toujours bon de voir Serge Larivière et sa bonhomie), ou cet assassin de François (François Damiens qui, une nouvelle fois, prouve qu’il n’est pas que bon à passer la langue sur ses lèvres avec son énergumène de ricanement), ou encore cette jeune fille qui a perdu un bras dans un accident (Laura Verlinden si charmante dans sa tristesse), ce petit garçon (Romain Gelain parfait dans un rôle peu évident) qui veut devenir une fille, ce bureaucrate (Didier de Neck, rêveur nous contaminant) qui rêve de mélomanie et de chants d’oiseaux et cette femme du troisième âge qui ne trouve plus vraiment le goût de la vie (Deneuve dont le mythe est cassé avec candeur et tellement de plaisir dans les pattes d’un gorille façon King Kong).
Ces six-là, avec leur « petite vie de merde », ce ne sont ni des saints, ni des anges, pas non plus des salopards, juste des hommes façonné par une époque qui a perdu ses rêves. Et voilà que tous croisent Ea et son drôle de scribe, sdf littéraire (parfaitement incarné par l’autre révélation de ce film: le luxembourgeois Marco Lorenzini). Et voilà que leurs vies changent.
Rivalisant d’une originalité qui n’est plus à prouver et se voit à chaque plan, Jaco Van Dormael s’est alloué les services d’un autre as de notre plat pays, Thomas Gunzig. Sur une écriture permettant tous les excès, les deux partenaires réussissent pourtant à doser les efforts pour mieux faire dans la finesse. Bien sûr, le Tout Nouveau Testament est un film où on rit. Beaucoup. Devant le comique de situations absolument fantaisistes, devant la tronche des personnages. Mais pas que. Surtout, c’est un film dans lequel une véritable profondeur se ressent, une poésie comme elle n’en a plus toujours cours.
Car si le Tout Nouveau Testament se fait léger, il parle aussi d’enfance et d’innocence qui se perd sur le chemin de la vie, du boulot, des drames quotidiens. Van Dormael se pose, nous pose la question: « Que deviennent les enfants quand ils grandissent? » La réponse, vous la trouverez seul, vous l’entendrez comme vous la voulez. Le film quant à lui propose une dose de belgitude une variation relevée, un beau moment de bonheur rêveur et une pirouette des plus audacieuse.
À l’heure industrielle où les films n’ont plus, pour la plupart, que l’ambition d’être des suites, des prequels ou autres remakes sans originalité, ce « blockbuster » (oui le terme peut-être valorisant) à la belge évite les écueils pour livrer le message d’un budget conséquent au service d’une réelle créativité, salvatrice. Jaco Van Dormael n’est plus Mister Nobody depuis longtemps mais il se révèle encore un peu plus comme un dieu créateur et généreux.