Voilà bien le film le plus original, le plus différent, le plus ailleurs, le plus excitant donc qui se puisse voir en ce moment! Il vit sur deux niveaux -même si on a parfois l'impression qu'il en a trente-six!
Niveau 1: Giacomo Casanova septuagénaire termine sa vie comme bibliothécaire au Château de Dux, en Bohème, chez le duc de Waldstein. Il s'y ennuie ferme; il ne bande plus trop. Arrive une encore séduisante et encore jeune femme, Elisa von der Recke (Veronica Ferres), une de ses anciennes maitresses qu'il a oubliée, comme les autres. On sait qu'il a écrit ses mémoires (Histoire de ma vie). Elisa voudrait les publier. Veut elle vraiment publier le texte? juste savoir ce qu'il dit de leur liaison? ou s'en servir pour écrire de lui une méchante biographie, ce qu'elle a déjà fait avec Cagliostro?
Niveau 2: on est dans un opéra où on a monté un spectacle sur la vie de Casanova. Mélange de théâtre contemporain et d'opéra où des chanteurs interprètent des épisodes de la vie du séducteur à partir de morceaux de Mozart: Les Noces de Figaro, Cosi fan tutte, Don Giovanni. Différentes chanteuses vont incarner différentes aventures, dans l'ensemble plutôt sordides, narrées par Casanova dans ses mémoires: cette jeune fille déshonorée qui meurt d'une fausse-couche alors que sa famille l'a fourrée au couvent (elle chante l'air de Barberine, si mélancolique, L'ho perduto.... mais ce n'est pas son épingle, c'est sa vertu et bientôt sa vie qu'elle a perdue... la tristesse de l'air prend une toute autre signification); une autre adolescente, on découvre qu'elle est sa fille, grâce à l'arrivée de la belle-mère..... au moment où elle va l'épouser. Qu'on se rassure: l'histoire ne s'arrêtera pas là. Le double chantant de Casanova est interprété par l'excellent baryton-basse Florian Boesch; celui d'Elisa par Miah Persson; Kate Lindsey, Anna Prohaska, Barbara Hannigan, Kerstin Avemo chantent les différentes jeunes filles. Toutes, évidemment, aussi jolies qu'à l'aise en scène. On voit même Jonas Kaufmann faire un petit tour pour interpréter trois notes de don Ottavio dans le sextette final.... Solidarité autrichienne sans doute!
Quant au génial John Malkovich, il nous aura véritablement tout fait, passant de 'élégant Valmont au crétin d'anthologie des frères Coen, et on a même fait un voyage dans sa tête. Eh bien, là, on le fait même chanter..... Deh vieni alla finestra, d'une petite voix légèrement chevrotante qui confirme que, non, vraiment, sa voie n'était pas là....
Giacomo et Elsa passent sans cesse d'un niveau à l'autre, et par moments on ne sait plus où on est; on a le tournis. C'est la pièce dans la pièce dans le film..... Wououh! On a souvent l'impression d'être dans un entresol entre ces deux fameux niveaux; parfois l'acteur est seul; parfois accompagné de son double chantant; et même, comme on vient de le voir avec Malkovich, il se peut que ce soit l'acteur qui chante et le chanteur qui le regarde! Quand Malkovich, en coulisse, s'affale sur un siège en enlevant sa perruque, qui est-ce? Mais c'est aussi ce qui fait le charme du film de Michael Sturminger.
Ce film est pour: ceux qui aiment Mozart, dont le musique accompagne et porte avec grâce tout le film; ceux qui s'intéressent à Casanova; et ceux qui adorent le VRAI cinéma, tout simplement! Ca en fait, du monde.....