Pour son deuxième long métrage, Matthieu Delaporte, avec "Un illustre inconnu", nous narre dans un thriller existentiel comment une personne anonyme en vient à revêtir les oripeaux d’autres gens pour se sentir exister. Sébastien Nicolas n’est-ce déjà pas le début de l’anonymat ? S’inspirant de la réflexion sur le double d’auteurs comme Romain Gary, ce troublant récit obsessionnel s’appuie sur le "je" de quelqu’un qui se pense invisible à la première personne. S’appuyant beaucoup sur le regard, qu’y a-t-il derrière le masque que nous offrons à l’autre ?, que vois-je quand je m’observe ?, d’où la multiplication de séquences où miroirs et photographies jouent un rôle inquisiteur, le réalisateur pose la question de l’identité, de son ressenti et de son vécu. Qu’y a-t-il derrière l’apparence ? On retrouve la longue litanie du questionnement métaphysique qui suis-je, d’où viens, où vais-je et dans quel état j’erre ? Et c’est à Mathieu Kassovitz de porter ce film à bout de bras et de nous prouver, pour notre plus grand plaisir, son talent d'acteur.
Certes, certains ont besoin de se sentir autre pour exister. La multiplicité des sosies d’Elvis, de Marylin, de Johnny en est le premier type. Par là, en encensant leur idole, en usurpant passivement leur identité, ils espèrent se couvrir d’un peu de leur gloire. D’autres, pour tromper, pour obtenir une reconnaissance ou une récompense, pour escroquer, se fardent, se griment, se transforment et obéissent à leur logique dévoyée. Pourtant, ce ne sont pas ces raisons qui motivent Sébastien Nicolas. Il va, il vient, il essaie des poses, des postures, un léger mouvement, un postiche, une silhouette et ce, apparemment sans but. Une semi-confession avec le prêtre de la paroisse (Philippe Duclos) nous apportera un éclairage assez subtil pour confirmer ce que nous a appris la première partie du film "comment être un homme droit quand la vie semble vous avoir oublié ?" Quelle faute a-t-il perpétrée ? Sébastien, agent immobilier, n’en est pas à ses débuts. Il a déjà imité de nombreuses personnalités toutes aussi anonymes que lui. Sur ses multiples tiroirs, aucun nom qui nous soit connu. Il ne s’attaque pas au gotha parisien. Il œuvre, semble-t-il, dans le banal. Pourquoi alors se rendre grimé comme son dernier client à une séance des alcooliques anonymes, lui, Sébastien Nicolas, qui nous apparaît sobre, presque ascète ? Que doit-il se pardonner ? C’est sa rencontre avec l’ancien violoniste virtuose Henri de Montalte (Mathieu Kassovitz) qui va nous apporter une clef, la clef ?, pour mieux entrer dans le personnage. Cet artiste, acariâtre, misanthrope, ploie sous son passé, il a accumulé objets, victoires, mais a raté sa vie. Une rencontre aussi furtive qu’imprévue avec son ancienne maîtresse (Marie-Josée Croze) puis avec son fils amène Sébastien Nicolas à endosser l’habit du musicien. C’est qu’il tient à modifier sa vie mais aussi les vies que les autres ont brisées. Il y a un côté salvateur dans son attitude. Il veut accepter ce fils que son père refuse. Puis, après le suicide de Montalte, si le film plonge quelque peu dans l’univers policier, le héros se drape dans son attitude expiatoire. Il tient à endosser les fautes qu’il n’a pas commises. Sa fuite, ses opérations de chirurgie esthétique lui permettront, au moins dans l’instant, en confortant la thèse policière erronée, de devenir la victime sacrificielle qui répare les erreurs d’un autre.
Ce film machiavélique, magnifié par la ligne mélodique de Jérôme Rebotier assisté, il est vrai, de Ludwig Van Beethoven et Félix Mendelssohn-Bartholdy, chargé d’un noir pessimisme, parfaitement concocté, captive.