Bien qu’étant sûrement animé des meilleures intentions du monde, SPOTLIGHT est de ces longs métrages insupportables qui affichent fièrement leur sujet « polémique » comme si cela suffisait pour les dédouaner de leurs incommensurables imperfections et de leurs innombrables défauts de conception. Le genre d’œuvre cinématographique qui croit qu’il suffit de parler – sommairement et sans trop se mouiller – d’actes pédophiles pour que l’on se doive de leur tresser des lauriers parce qu’il condamne quelque chose qu’à peu près tout le monde s’accorde déjà à condamner. SPOTLIGHT, le long métrage qui se contente de mettre en lumière ce qu’une enquête avait révélé de façon tonitruante et à l’échelle internationale dix ans plus tôt. Autant dire que la démarche laissait de prime abord assez dubitatif puisque le long métrage ne pouvait jouer sur le choc de la révélation finale puisqu’elle était déjà connue de tout le monde. Mais ce serait oublier que ce qui importe le plus dans un voyage n’est pas la destination mais la façon dont on y parvient ; on connait tous la fin de TITANIC, mais cela n’empêche pas ce chef d’œuvre de nous prendre à la gorge pendant plus de trois heures. Sauf qu’en guise de chemin, le réalisateur Tom McCarthy ne nous propose rien de plus qu’un illustré du compte rendu Wikipédia de l’affaire en ne suivant que les journalistes ayant dévoilé le scandale. Dans SPOTLIGHT, les victimes n’ont droit qu’à deux ou trois séquences pendant lesquelles elles ont juste le temps de raconter ce qu’elles ont vécu, sans entrer dans les détails ni s’attarder sur les conséquences. Quant aux accusés, il n’y a bien qu’une courte scène avortée lors de laquelle un prêtre est coupé juste après avoir fait mention qu’il avait lui-aussi subi un viol dans sa jeunesse. La faute revient en premier lieu au scénario. Celui-ci est indéniablement documenté, et c’est justement par cet aspect-là qu’il pèche. Bien qu’étant nommé aux oscars dans la catégorie de la meilleur histoire originale (?!?), le script est engoncé dans un tel respect maladif de ces faits réels qu’il se refuse le moindre artifice de fiction, exclut l’usage de tout dispositif cinématographique autre que le champ contre champ le plus basique, et interdit à ses personnages une simple ébauche d’évolution ou l’expression de la moindre émotion face à la noirceur de leur investigation. De toute façon, la grammaire visuelle de SPOTLIGHT est honteusement limitée, au point que l’on pourrait aller jusqu’à qualifier McCarthy de réalisateur « cinématographiquement analphabète ». Le montage est à l’avenant de la monotonie lénifiante du long métrage, conservant scrupuleusement le même rythme pendant deux heures, sans qu’il y ait une seule accélération ou décélération afin de marquer un rebondissement majeur. Tout se fait (et se dit surtout) sur un ton monocorde. Cette absence de rupture stylistique et dynamique se ressent aussi sur l’éclairage des décors, les rendant incroyablement impersonnels et ne jouant jamais avec la silhouette des personnages pour souligner leurs états d’âme et leur questionnement. Idem pour la musique d’Howard Shore qui est à l’avenant en se contentant d’être un enchainement de notes plutôt similaires agencée sur une cadence identique, peu importe ce que la scène raconte ou les nouveaux enjeux qu’elle apporte. Quel aveu d’échec cinglant lorsqu’un film dévoile sans fard son incapacité à transmettre et à traduire n’importe quelle idée ou émotion par la seule force de son cadrage, du mouvement de sa caméra, de la lumière de ses décors et de l’enchainement de ses plans, c’est-à-dire tout ce qui compose la base même du langage cinématographique ! SPOTLIGHT est un film qui ne mise son impact que sur ses dialogues alors que ceux-ci ne sont supposés être que des appuis secondaires pour un réalisateur de cinéma afin de rendre évident ce qu’il souhaite raconter et (par-dessus tout) montrer. Mais il est tout bonnement hallucinant qu’un film portant sur une affaire aussi sordide, qui devrait par conséquent mettre à mal notre intellect, nos aprioris et notre panoplie d’émotions, soit aussi froid et désincarné, comme si cela avait été une parade de la part de McCarthy pour contourner les aspects les plus désagréables de son sujet. Cette raideur piège le long métrage dans un didactisme effroyablement démonstratif. SPOTLIGHT enquille ainsi les déclarations outrées déclamées par des acteurs à la mine effaré parce qu’il est trop froussard pour braver frontalement les aspects glauques, écœurants, vertigineux et terrifiants de cette réalité dont il entendait pourtant faire une retranscription détaillée. Car malgré l’important travail de recherche pour préparer le long métrage, ce dernier est une œuvre finalement paresseuse. SPOTLIGHT se satisfait d’un seul angle d’attaque et ne fait qu’illustrer platement des faits en ne les prenant que par le petit bout de la lorgnette. Jamais on ne quitte les pas des journalistes et il faut attendre cent minutes pour voir une séquence où l’un d’entre eux exprime enfin ouvertement la colère que lui inspire ce qu’il découvre. SPOTLIGHT c’est donc JFK filmé par le réalisateur de MISS DAISY ET SON CHAUFFEUR. Une enquête indignée relatée de façon à ce qu’elle soit toujours très convenable pour le spectateur, que ce soit sur le plan thématique ou sur le plan graphique. C’est un produit à récompenses qui affiche son intention de s’attaquer à un sujet sulfureux comme si ce dernier n’était qu’un vulgaire appât à l’intention d’un public d’un autre âge ayant fait l’impasse sur tous les films et documentaires procéduriers, journalistiques et criminels de ces trente dernières années.