Si on vous demande ce qu’est le cinéma du réel, répondez en trois lettres : Amy
Film coup de poing, pur chef d'œuvre d'un genre cinématographique renouvelé
Pas très facile de parler de ce film. Tous les mots usuels ne collent pas bien.
Ce n'est pas un de ces biopics plus ou moins esthétiques ou romancés. Ce n'est pas un documentaire avec narrateur en voix off et interviews convenus. Encore moins un spectacle… Et donc ce texte n’est pas une critique mais mes réactions après ce choc, réactions que j’essaie de trier un peu.
Pas un acteur, pas de narrateur, pas de cadrage, pas de musique ni de commentaire ajouté. C'est un film fait de tranches de vie captées sur le vif, collectées et montées. Tout est vraie vie. C'est très troublant, très direct, très bouleversant. Bien sûr que le destin tragique de cette femme ajoute à l’émotion. Mais, j'insiste, ce n'est pas l’histoire qui singularise ce film (on a vu cent films sur la star-géniale-et-fragile-broyée-par-son-destin). Ce qui est totalement novateur dans ce film, c'est le procédé narratif. Peut-être un nouveau genre de cinéma rendu désormais possible par la ressource toujours grandissante d’images prises sur le vif en toutes circonstances. Au fond, il manque un mot pour désigner cet objet filmique non identifié. On pourrait dire « cinéma réalité » si la « télé réalité » n'avait pas déjà galvaudé la notion même de réalité... Disons « cinéma du réel » qui prend totalement son sens ici.
J'ai ressenti - comme jamais à ce point au cinéma - un coup de poing dans le ventre, une suffocation , une sidération devant ces 27 ans de vie ramenés à 2h. L’art du portrait porté à un très haut niveau, sans doute rarement égalé. Un peu comme Bacon et Freud en peinture ou Annie Leibovitz en photographie. Peut-être plus proche encore du réel puisque toutes les images sont vraies et qu’il n’y a pas d’interprétation à proprement parler. Peut-on faire un portrait plus proche de son modèle ? D’ailleurs, ce qu’a fait le réalisateur Asif Kapadia s’apparente plus au travail du documentaliste ou du scientifique qui rassemble une collection puis en fait la présentation.
Mais la force du film vient aussi d’Amy elle-même tant il est vrai que ce procédé narratif appliqué à un quidam donnerait un film sans intérêt. Je ne savais rien d’Amy Winehouse ni de ses chansons. Rien que le vague souvenir de chignons invraisemblables, de frasques et de déchéance fatale grassement tartinés dans la presse people. Et j'ai découvert une pure chanteuse de jazz, une voix, un groove exceptionnels. Et puis, il y a ses textes qu’elle écrit de son écriture d’enfant sur des pages de cahier, des textes fulgurants ancrés – et encrés – dans ses tripes. Ce film montre que ces textes sont vrais puisqu’intimement liés à la vie de la chanteuse. Par exemple, quand elle écrit et chante – comme dans bien des chansons d'amour – je me donne à toi « body and soul », ce n’est pas la figure de style usuelle dans les bluettes. Elle le signifie et le vit complètement au premier degré. A mort. Tout est cash et tellement touchant. L'effet vérité ici est en abîme car cette femme, si elle a divagué dans des zones incroyables, n'a jamais triché. Tout prend sens dans cet abîme mis en abîme.
Tout cela donne un film d'une largeur et d'une profondeur exceptionnelles. Courez-y ! Si vous êtes en forme... Car c’est dur.