Il faut le savoir, je ne suis pas forcément sensible au travail d’Amy Winehouse et, pour le coup, je suis peut-être l’un des rares gars qui est allé voir ce documentaire pour son réalisateur plutôt que pour son sujet. Parce que oui, pour ceux qui ne le savaient pas, Asif Kapadia, c’était le gars qui était à l’origine d’un de mes gros coups de cœur de ces dernières années : « Senna ». J’aime la manière qu’a ce gars d’aller au-delà de la simple compilation d’images, de refuser le traditionnel plan du témoin assis qui raconte, de vouloir faire de son documentaire une œuvre formelle qui sache solliciter toutes les qualités narratives et formelles du cinéma… Alors certes, l’exercice était assez tendu puisqu’il fallait à la fois contourner la difficulté du peu d’images disponibles sur les débuts de la belle jazzwoman ; il fallait savoir aussi se poser la question de comment aborder les morceaux mythiques que tout le monde connait et attend ; tout comme il fallait enfin faire attention à ne pas tomber dans le schéma superclassique du biopic d’artiste (ascension – gloire –chute). En toute honnêteté, je trouve que l’ami Kapadia s’en sort beaucoup mieux sur les premiers enjeux de son documentaire que sur ses derniers. Le montage est très bon. Il arrive à faire beaucoup avec bien peu, il sait même tirer parti de la mauvaise qualité de ses échantillons pour en faire presque du pop-art cinématographique. Et lorsqu’on apporte la seconde partie du film, et que pour le coup le réalisateur dispose d’une orgie de documents, là il s’en donne davantage à cœur joie, sachant traduire intelligemment la diversité des points de vue (usant pour cela d’archives amateurs prises lors de certains concert, voilà une très bonne idée) tout en surappuyant malicieusement l’effet oppressif du piège qui se replie sur la pauvre Amy lors de ses dernières années de vie. Pour les chansons et la narration par contre, je trouve le bilan plus mitigé. Et franchement, à bien y réfléchir, Kapadia est pour le coup un petit peu tributaire de son sujet. Moi, je ne trouve pas le personnage d’Amy Winehouse si fascinant que cela. Certes, comme beaucoup sûrement, je trouve qu’elle a une sacrée voix, mais ses textes, sa sensibilité d’artiste, son parcours de vie ne me parlent pas du tout. Ainsi, quand Kapadia décide d’afficher les paroles pour faire insister sur le contenu textuel des chansons, eh bah moi j’ai trouvé que ça desservait la démarche du film car en fin de compte ça permettait de rendre plus évident que cette pauvre louloute n’écrivait rien d’extraordinaire (point de vue personnel encore, pas d’offense j’espère)… Alors après, on pourrait me répondre « Bah ouais mais il est pas malin lui, il va voir un documentaire sur quelqu’un qui l’intéresse pas ! ». Alors c’est vrai que ça ne semble pas logique. Mais d’un autre côté, je trouve justement que la force d’un documentaire, c’est d’être capable de nous sensibiliser à un sujet pour lequel on n’a pas de réelles affinités. Or, sur ce point, Kapadia, ne s’en sort quand même pas trop mal. Parce que bon voilà, je pense que par rapport au sujet triaité, le réalisateur anglais a su mettre le doigt sur ce qu’il fallait pour rendre cette Amy attachante même à celui qui n’en était pas fan. Cette nana était juste un cœur à vif, une sensibilité à bout de nerf, une éponge incroyable. Ça en faisait un personnage entier, un personnage sincère, un personnage noble, jusqu’au bout. Le problème c’est que sur la fin, le film rentre dans le schéma classique de la star qui se brûle les ailes. Alors certes, c’est ce qui s’est passé, mais je pense qu’on aurait pu écourter ce moment là de sa vie afin de donner plus d’intensité sur la fin. Parce que bon, voilà, 2h07, c’est trop. Certes, il y avait peut-être la pression du fan-service afin qu’on voit tout ce qu’on avait en magasin, afin de bien s’attarder sur tous ces aspects de la vie de la pauvre Amy qui l’ont fait sombrer, mais je pense qu’au final, là où le fan est satisfait, le cinéphile est mécontent. Mais bon, je ne vais pas cracher dans la soupe. Franchement, pour un documentaire, c’est là encore une fois un travail très riche et remarquablement intelligent. Pour moi Asif Kapadia est le maître du genre et cet « Amy », bien que sur un sujet qui ne m’attrait que très peu, le démontre une fois de plus… Bravo...