Paradoxe d'Eden, où les signes d'époque affluent sans cesse et se cristallisent sur les personnages – notamment celui qu'incarne Vincent Macaigne, en qui se résument à la fois les souvenirs des soirées "Respect" et celui de Show Girls de Verhoeven – mais ne forment jamais aucune toile de fond. Leur succession dans le film, comme celle des soirées en boîte, est plutôt de l'ordre du catalogue : ils sont, comme les DJs eux-mêmes, des « matériaux de la vie quotidienne ». Cette expression vient des "Mythologies" de Barthes, mais là où Barthes voyait dans la modernité la résurgence de formes très anciennes – il retrouvait par exemple l'esprit de la commedia dell'arte dans les spectacles de catch -, Mia Hansen-love ne trouve dans le contemporain que le vide du contemporain. Si l'un des objets de son film devait être la musique électronique des années 90 et l'esprit de fête qu' a porté la French Touch, force est de constater que cet objet ne révèle que sa vanité. A l'exception notable de quelques tubes de Daft Punk, il ne reste rien de cette époque dans le film, comme si ce temps, pourtant très proche de nous, n'avait jamais existé. Paul, le personnage principal, l'a traversé, il y a vieilli mais ce temps n'est pas resté en lui, il ne l'a pas marqué : le mythe n'était qu'en lui, à l'état de rêve ou de velléité, il n'était pas dans son époque. Eden est donc partagé entre une certaine ambition romanesque – ce serait un roman du désenchantement – et son désir de dresser l'inventaire des mythologies d'une époque pourtant dépourvue de mythe. Ne choisissant ni tout à fait l'une ni tout à fait l'autre voie, le film déploie d'une part une forme romanesque plate – Paul fait de nombreuses rencontres, mais aucune de ces rencontres ne le change – et dresse d'autre part un inventaire du contemporain qui va de la création de "Da Funk" aux SMS qui s'affichent de façon intempestive à l'écran dans la seconde partie du film. Le défilement d'un poème à l'écran, dans la scène finale, finit pourtant par dire quel étrange compromis esthétique le film a trouvé, au moment où son personnage s'apaise, dans le constat de sa défaite : une forme de mélancolie qui ne cède rien aux écrans et aux sms, accepte la vitesse, le changement, les pages qui se tournent à toute allure. Autrement dit : une mélancolie contemporaine, qui ne peut pas se mettre en récit (dans son atelier d'écriture, Paul n'arrive pas à écrire) et cherche la perte là où rien, au fond, n'a jamais été perdu. En ce sens, Eden porte bien mal son titre : non pas parce qu'il nie la fête (cela fait partie pleinement de son désenchantement) mais parce qu'il ne montre pas le romantisme du mythe que son personnage a bâti autour de sa musique. Des illusions du personnage, de ce en quoi il a profondément cru, on ne retient finalement que de banales soirées festives où des foules euphoriques lèvent les bras en rythme : était-ce là le rêve, l'Eden ?
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