Encensé aux quatre vents à la suite de ses apparitions dans divers festivals de cinéma indépendant, le premier film de Destin Cretton, intitulé chez nous States of Grace, s’affiche comme l’archétype du domaine social transposer sur les écrans. Incontestablement bâti sur les bases inébranlables du cinéma indépendant américain contemporain, States of Grace offre une vision mélancolique, sensible, des affres d’une jeunesse volée. A contrario de certains, ayant choisi la violence et les centres carcéraux pour disserter sur les maux des adolescents d’aujourd’hui, je pense là à Dog Pound ou encore Cold Water, Destin Cretton, fort de son expérience d’éducateur, livre un film quasi documentaire qui privilégie les sentiments aux actes. Oui, ici, la souffrance psychique est omniprésente, alors même que le cinéaste parvient à nuancer son mélodrame et les souffrances de ses protagonistes en offrant continuellement un ton bon enfant à son long-métrage, s’affichant dès lors comme attachant d’avantage que perturbant, poétique d’avantage qu’académique.
C’est sans doute cette finesse d’esprit qui valut au film de Destin Cretton toutes ses reconnaissances. Pour autant, et malgré ses connaissances indéniables dans le domaine, le cinéaste ne semble qu’effleurer un vaste sujet en additionnant les traumatismes, en particulier ceux de son actrice principale, éducatrice en chef souffrante de tous les maux du monde et incapable de se projeter dans l’avenir. Tout ici est nuancé, sis quelque part entre fatalisme, cruauté et joie de vivre, espoir de jours meilleurs. L’ambition du metteur en scène est certes noble, dressant un petit tableau délicat d’une période de vie de quelques enfants, éducateurs et autres bienveillants remparts à l’abandon de toutes valeurs sociales. Le centre, tel que filmé, s’apparente à un havre de paix, un petit nid douillet dans lequel éclate parfois les sanglots et les crises existentielles. Mais au contraire d’une certaine logique, il apparaît bien vite que les problèmes des enfants y étant internés ne sont relégués qu’au second plan, le cinéaste préférant creuser le passif douloureux de son héroïne.
Oui, c’est sans doute là le handicap de State of Grace, un film préférant somme toute disséquer les troubles d’une femme en charge d’une jeunesse qui ne sert que de décors ou d’appui permettant de rouvrir incessamment les cicatrices d’une éducatrice. On se demande alors, malgré toutes les bonnes intentions affichées, si la dame n’est pas masochiste. Indépendamment d’un tir sur cible légèrement manqué, le film est porté par un Brie Larson splendide d’authenticité. La jeune actrice, personnalité que l’on retrouvera pour sûr tout prochainement, incarne merveilleusement bien le bonheur que la souffrance, en résulte de très belles séquences à la fois sensibles et puissantes. Il apparaît alors que malgré l’application des nombreux seconds rôles, c’est bel et bien Brie Larson qui porte le film sur ses jeunes épaules, et ce même si son personnage s’égare souvent.
Destin Cretton pensait d’abord réaliser un documentaire sur le sujet. Il préféra donc la fiction. On l’en remercie. Pour autant, le cinéaste ne parvient pas toujours à convaincre, les deux pieds sans doute trop ancrés dans les fondations d’un cinéma indépendant qui préfère la nuance à la stricte réalité des choses. Si quelques séquences sont sensibles et sacrément touchantes, je pense en particulier à la narration de l’histoire de Nina la pieuvre, à pleurer, bon nombre d’illustrations de vie tombent à plat. On pourra alors reprocher au cinéaste, pourtant conscient de sa démarche, d’avoir profité d’un contexte qui avait tant à dire pour se concentrer sur une histoire personnelle somme toute commune. Dans tous les cas de figure, States of Grace, entre nous un très beau titre déniché par les distributeurs francophones, s’en sort haut la main puisque étant reconnu, finalement, comme la nouvelle bombe du ciné indépendant, même si cela n’est pas mon avis. 12/20