"Les recettes du bonheur" est un formidable appel à la tolérance interculturelle et à l’entraide. Par des castings cosmopolites, le cinéma se fait fort indirectement (sans le vouloir ???) de prodiguer cet appel. Mais il y a d’autres domaines ou ces valeurs sont pour ainsi dire indispensables. Parmi eux, la cuisine. Certes on parle beaucoup de la cuisine française, mais aussi de bien d’autres nationalités. Et parfois, on se régale des plats revisités sous d’autres horizons culturels, avouez-le. Quant à transposer cet appel à l’écran, c’est une autre paire de manche : un certain nombre de films y sont parvenus avec brio, tandis que d’autres ont trop mis en avant les bons sentiments. Ici la solution est arrivée par le roman éponyme de Richard C. Morais, un bouquin à l’origine de ce long métrage dont la réalisation a été confiée à Lasse Hallström. Comme chacun sait, une adaptation n’est pas une transposition. Je ne connais pas personnellement l’œuvre littéraire mais ce que j’en sais, c’est que le héros évolue quelque part dans le Jura. Je me demande pourquoi le scénariste Steven Knight n’a pas gardé cette belle région comme cadre. Cela dit, je vous avouerai que je suis assez heureux que la région dans laquelle je vis ait été choisie en lieu et place du Jura, au risque de me mettre à dos les jurassiens. D’abord parce que le Tarn-et-Garonne n’a pas été souvent utilisé par le cinéma (mis à part à l’occasion de grands classiques tels que "Les tontons flingueurs" et "Le vieux fusil"), et ensuite (autant être honnête) par pur chauvinisme local. Mais si le département a été choisi, ce n’est certainement pas par hasard. En effet, la saveur et le bon goût des produits frais sont mis en avant. Or le Tarn-et-Garonne, au risque d’en surprendre plus d’un, n’est ni plus ni moins que le département leader en matière de vergers. Attention, je parle bien au niveau départemental, pas au niveau régional. La confusion est très facile. Tout cela pour dire que c’est une terre de terroir, une terre où aussi les fameux cèpes daignent pousser dès lors que les conditions climatiques sont réunies. Et quand on prend la peine de s’occuper des légumes comme il se doit, eh bien ça donne autre chose que ce qu’on peut trouver en grande surface. Là-dessus, je ne vous apprends rien, et c’est valable pour l’ensemble des régions. Si j’insiste sur le goût, c’est parce que "Les recettes du bonheur" démarre sous son signe. Le goût et la découverte des saveurs. La caméra s’attarde donc sur Hassan Kadam (Manish Dayal), un indien qui (pour reprendre les mots du synopsis) « a un don inné pour la cuisine », un don hérité de sa mère grâce à une éducation ciblée sur les saveurs. La vie en Inde est difficile, et exploiter ce don comme il l’entend semble impossible en raison d’une grande instabilité politique. Direction est prise sur l’Europe, où le périple de cette famille est loin d’être de tout repos. Vous l’aurez deviné par ce que j’ai dit un peu plus tôt, elle va finir par s’installer dans le sud-ouest de la France. Au cours de ce chemin de croix, Lasse Hallström a réussi à mettre en évidence la culture de ce pays du moyen orient avec beaucoup de poésie. Dans cette culture, cette remarquable sagesse qui force l’admiration, consistant à voir en tout événement un signe du destin. Comme le drame les poussant à quitter leur pays natal… et comme la défaillance de leur véhicule, considérée comme un non-hasard. Une sagesse parfaitement représentée par le père de famille, interprété avec beaucoup de sensibilité par Om Puri, encore une fois formidable dans ce rôle au caractère bien trempé après (longtemps après !) son très touchant rôle dans "La cité de la joie". Mais faire prospérer la cuisine indienne dans une localité de la France profonde n’est pas facile, et constitue un pari loin d’être gagné. D’une part parce que les locaux sont attachés à leur terroir et leurs traditions, d’autre part parce que cette famille s’installe à proximité immédiate d’un restaurant étoilé. Peu importe, le père de famille ne voit que des signes du destin de partout, et est plus déterminé que jamais à s’installer précisément là où ces signes se manifestent, tout en comptant avec beaucoup de naïveté sur l’esprit de solidarité et la curiosité de tous. Hélas, c’était sans compter sur la propriétaire du restaurant étoilé. Dans ses traits, Helen Mirren, que je n’attendais pas dans ce genre de rôle, campe une femme qui ne pense qu’à défendre la gastronomie française et rien que la gastronomie française, poursuivant sans relâche les étoiles. Hautaine, austère, elle a l’air sévère et n’en a pas que l’air ! En effet, elle agit de façon insidieuse en multipliant les coups bas, poussant le spectateur à la qualifier de garce. Elle rappelle Meryl Streep dans "Le diable s’habille en Prada". Oui, c’est le même genre de rôle par la psychologie et le comportement (bien que le milieu soit très différent), tant dans le paraître que dans les petites répliques assassines. Même si Helen Mirren a fait beaucoup d’efforts pour rendre son personnage antipathique au possible, elle n’arrive pas au niveau de Meryl Streep. Et si à cela on rajoute le fait que le film semble se dérouler selon un principe cousu de fil blanc, le spectateur peut être tenté de se désintéresser du film. Cependant le début est tout de même sauvé par le style Lasse Hallström qui fait parler sa maîtrise du feel good movie malgré quelques manquements, je pense notamment à l’acquisition de la propriété sur laquelle on passe rapidement dessus. Comme dit plus haut, il n’a pas son pareil pour saisir le meilleur de l’être humain, ici en se servant du regard bougrement expressif d’Om Puri, du sourire ravageur de Manish Dayan et de la fraîcheur ingénue de Charlotte Le Bon. Sans compter que par sons sens de l’esthétique, il a su saisir et mettre en valeur ce bel écrin qu’est Saint-Antonin-Noble-Val, blotti quelque part au beau milieu des causses, dont les quelques clichés photographiques restent durablement en mémoire. Tous les ingrédients sont là pour amener le spectateur à déguster un menu en apparence tout établi, un menu où les pigeons sont prêts à être truffés sauf qu’il n’est « pas facile de faire ce plat si on n’a pas de pigeons »… Mais un menu qui se révèlera unique par les valeurs selon lesquelles il a été conçu, ces mêmes valeurs pourtant mises en grave danger par les appels envoûtants des étoiles Michelin. Certes les bons sentiments sont présents et nombreux, mais ils ne sont jamais appuyés de trop, ce qui a l’avantage de les rendre communicatifs. En somme, qu’on le veuille ou non, on aura beaucoup de sympathie pour cette famille déracinée (voire même de l’empathie) au vu de ses propres valeurs, sa sagesse, ce mélange de détermination et d’humilité qui s’en dégage, et par cette capacité à tenir le cap envers et contre tout. En ce qui me concerne, le charisme d'Om Puri m’a de nouveau ébloui, car il rend son personnage tout à fait crédible. Limite si le spectateur ne vibre pas autant que lui. Il en ressort un film plaisant, qui nous met l’eau à la bouche avant d’attraper un vague sentiment de gâchis devant la nouvelle cuisine. Le récit est dans l’ensemble dynamique, aménagé de quelques moments propices au développement des personnages. La musique accompagne bien le tout, frisant même le génial tant elle amène parfois un vrai coup de punch. Un film frais, léger, plaisant : comme une bonne cuisine qui se respecte, en somme… Finalement, je trouve que le titre pour la version française ne pouvait pas mieux être choisi...