Dans un contexte de crise économique généralisée, où la prudence est de mise, le monde du cinéma n’échappe pas aux tendances de frilosité. Hollywood ne mise que sur les adaptations de BD et leurs « biduleman » en tout genre ou de bouquins culcul la praline, remakes, reboots…, bref sur un recyclage de connu, de sûr qui fait vendre. Adieux petites comédies et petits drames ! En France ? Idem, point de types en collant (ni D’Artagnan, ni Fantomas), mais du vendable à partir de film pré-mâchés, pré-digérés.
Des deux côtes de l’Atlantique, il y a quand mêmes des réussites du « système officiel ». Et en dehors ? Tout existe et c’est sur ce créneau du totalement indépendant que se place « The Theory of Love ». Porté à bout de bras par son créateur, cette œuvre correspond à ses volontés à 100%, sans compromis. Une œuvre libre, de l’art pur en quelque sorte. Une Démarche intègre et exemplaire qui mérite à elle seule de la considération. Mais au-delà, qu’en est-il réellement du film ?
Disons-le d’emblée, on adhère ou pas à ce genre de film loufoque tout sauf classique ! On a plus ici affaire à « 2001 » ou autre « THX 1138 » aux non-dits laissant le spectateur à ses réflexions qu’à un « Fast et Furious 24 » qui met votre cerveau à l’arrêt. Ici ça cogite sec, ne serait-ce que pour savoir quelle histoire raconte le film.
A ce sujet le film démarre sur les chapeaux de roues ! Cette implication du spectateur (qui devient en quelque sorte acteur même du film) est annoncé par une femme qui apprécie dire des ‘fu..’ dès qu’elle en a l’occasion (on ne dira pas qui elle est : surprise finale !). Cette implication, cette demande d’activité est un des sujets qui sous-tend le film, émargeant dès le début et seconder par d’autres.
En fait de film, auquel on participe, on voit un film d’un film. Ce film est lui-même visionné par deux critiques d’art qui font eux-mêmes partie du film qu’on regarde tout en y participant (humm…). A ce titre, les séquences avec les critiques sont des moments jouissifs (les plus jouissifs ?). Jean-Luc Fabre et Thierry Gary formant un duo déjantés d’une complicité jubilatoire et d’une drôlerie délicieuse. Et au milieu de tout ça s’ébat le Comédien (épatant Clément Chauvin) qui navigue entre rêve, cauchemar et réalité sans savoir plus que nous où il se trouve. Derrière sa complexité narrative, le film pose des questions au spectateur sur le sens de la vie : qu’est-ce qu’on fait de nos vies ? Qu’a-t-on créé ? Qu’aura-t-on à dire à Dieu le jour J ?....
Au-delà de ces questions existentielles, le film tacle régulièrement le cinéma et l’art d’aujourd’hui en général, en l’interrogeant sur sa créativité et son rapport à l’argent. Là où le film est génial, c’est qu’il renvoie le cinéma dans les cordes par son propos mais aussi par son existence même, la façon dont il a été fait. En effet, quelle créativité avec trois bouts de ficelle ! Et là le coup est rude quand on voit les sommes folles dépenser pour des films passables, sans rythme, laids et ne disant rien. Rien dans le fond, rien dans la forme.
TTOL, on l’a vu possède un fond très riche : si les réponses manquent (n’est-ce pas au spectateur de les trouver ?...), les questions pullulent. Loin d’être un imbroglio vain pour bobo snob auto congratulés, cette narration chamboulée est un élément clef de la participation du spectateur. Par delà ce fond à questions multiples, il ya des efforts réels de mise n forme. Certes, ce n’est pas « Barry Lyndon » ou « 1492 » car ce n’est pas le même genre, mais l’esthétisation est là malgré (grâce ?) à des moyens limités. L’usage des décors minimalistes sert le film. Et ainsi de suite. Ce sont les éléments qui servent le film et non l’inverse.
Alors au final, on a devant soi un film loufoque qui mérite la curiosité. Une sorte d’anti « Avatar » car là où le film de James Cameron joue de la grosse caisse dans un déluge de tout, pour un propos noble certes mais simpliste (les personnages disent quoi penser) et hypocrite (c’est en dépensant 300 millions de dollars soutenus par des multinationales, utilisant une débauche de moyens au coût carbone monstrueux qu’on dénonce les multinationales, l’argent fou et la pollution !...), le film de Jay Oswald use de moyens limités pour dénoncer l’usage de gros moyens, fait montre de créativité pour dénoncer le manque de créativité, fait réfléchir le spectateur quand il dénonce sa passivité…
Si on peut autant aimer « Avatar » que « The Theory of Love », Jay Oswald a ici réalisé un film cohérent, sincère et attachant qui mérite une diffusion plus large que celle réduite qu’il a aujourd’hui.