« La prochaine fois je viserai le cœur » a tout pour faire envie : un fait divers très croustillant, une affiche glaçante, un rôle titre tenu par un acteur chevronné, même un titre efficace (et très beau), difficile de ne pas avoir envie de voir ce que Cédric Anger a fait de ce sujet en or. Mais il faut être prévenu, son film est sec et austère comme un coup de trique. Ici, pas de fioritures, pas de superflu, pas de rebondissements ni de suspens à gogo. D’ailleurs, la scène d’ouverture, très réussie, donne le ton d’un film qui a clairement choisi de centrer son sujet non sur le fait divers en lui-même, mais sur la personnalité de Franck. Le film débute alors que les agressions ont déjà commencé mais que les meurtres, eux, n’ont pas encore été commis (car Franck est clairement dans l’escalade). La réalisation d’Anger est très intéressante, son film a une photographie très sombre, froide (comme un hiver dans l’Oise), avec très peu de couleurs et de fantaisie, comme pour mieux épouser la personnalité très perturbée de Franck, un homme qui ne semble prendre de plaisir à rien, même pas à tuer, n’éprouve d’empathie pour personne, insensible à autre chose que l’ordre et la propreté. La musique est intéressante et parfaitement utilisée, elle colle à l’action, elle l’accompagne sans jamais prendre le pas dessus. Guillaume Canet porte sur ses épaules un rôle terriblement difficile. Incarner la folie sans donner l’impression de caricaturer l’idée qu’on s’en fait, c’est carrément périlleux. Et il est incroyable de justesse dans tous les aspects de ce personnage si insaisissable, y compris les plus incompréhensibles. Parce que Franck n’est pas cynique, pervers ou manipulateur, il est fou, c’est évident (et d’ailleurs le vrai tueur de l’Oise a été déclaré irresponsable, souffrant d’une forme rare de schizophrénie, et interné depuis 1978 sans interruption), mais cela na saute aux yeux ni de ses parents, ni de son frère, ni de la jeune femme qui l’aime, ni (et c’est bien le problème) de ses collègues. Le film, complètement centré sur sa personnalité au détriment des autres aspects de ce fait divers, esquisse des pistes pour comprendre et nous, en tant que spectateur, on s’épuise à chercher aussi des explications. Mais c’est vain, et c’est assez épuisant nerveusement pour le spectateur, il n’y a rien à comprendre à une maladie mentale aussi mystérieuse que la schizophrénie, pas de cause, d’élément déclencheur, rien de tangible en tous cas. Est-il un homosexuel refoulé ? Est-il un impuissant qui déteste les femmes ? Est-il un homme fragile émotionnellement que seul l‘Ordre rassure ? Et qu’en est-il de ses rapports malsains avec l’hygiène, avec la douleur ? Cédric Anger sème ces petits cailloux et laisse le mystère de la maladie l’emporter au final. Forcément, c’est assez frustrant. Le problème de « La prochaine fois je viserai le cœur », c’est qu’à force de centrer son sujet sur Franck et sa psychose, il néglige d’autres aspects de ce faits divers qui auraient été très intéressants. L’enquête de police et de gendarmerie, qui amènera à découvrir l’inimaginable, aurait pu être plus développée par le scénario, mieux exploitée. On nourrit des regrets quant à cela surtout que c’est seulement à travers de deux scènes incroyables que cet aspect est vraiment traité.
La première montre Franck, bien sanglé dans son uniforme, au chevet d’une de ses victimes lui demandant d’un ton très doux si elle pourrait décrire son agresseur. On ne saura jamais si la jeune femme se tait parce qu’elle ne se souvient de rien ou parce qu’elle le reconnait sous son uniforme d’enquêteur ! La seconde scène c’est celle où Franck fait du porte-à-porte en montrant son propre portrait robot et que personne ne dit le reconnaitre, ce qui malheureusement parfaitement crédible mais ô combien surréaliste !
Et puis, il y a une autre petite lacune dans le film de Cédric Anger, c’est qu’il se termine trop tôt en quelque sorte. J’aurais bien aimé en savoir plus sur la façon dont la Gendarmerie Nationale s’est dépatouillé de cette bombe atomique qu’est l’affaire du tireur fou de l’Oise et comment elle géré le fait d’avoir laissé un gendarme enquêter pendant des mois sur des crimes qu’il avait commis lui-même sans jamais le soupçonner. C’est la Police Nationale qui a découvert le criminel et dans l’ambiance de guéguerre Police/Gendarmerie de l’époque, çà a fait un sacré barouf dans l’armée française ! Cédric Anger n’a pas voulu faire un polar, ni un brûlot, il a voulu filmer la folie meurtrière dans ce qu’elle a de plus incompréhensible pour le commun des mortels. C’est un point de vue qui se défend et qui ne manque pas d’intérêt, mais il y avait d’autres angles d’attaque possibles. Du coup, malgré ses qualités indéniables, « La prochaine fois de viserai le cœur » est un film frustrant : beaucoup de question, bien peu de réponses…