De "croisée des chemins", il est question à plusieurs reprises dans "On a failli être amies". Sorte de crise de milieu de vie où l'on prend conscience du temps qui file et du champ des possibles qui s'étrique. Doit-on alors poursuivre dans la voie initiale ou se payer l'audace, le courage, (la folie ?) d'envoyer promener une existence sagement bornée quand on ne s'y épanouit pas et de s'offrir une nouvelle chance de tout recommencer avant qu'il ne soit trop tard ? Dénigrant sa propre valeur, Carole (Emmanuelle Devos) en est là de ses interrogations existentielles. Si elle ne sait pas encore trop ce qu'elle veut du moins sait-elle clairement ce qu'elle ne veut plus : rester dans l'ombre de son mari, chef étoilé dont le talent et l'assurance inhibent complètement sa personnalité à elle, fragile, pétrie de doutes et de complexes. Et c'est ainsi, à la faveur d'une reconversion professionnelle, que Carole entrera, presque par effraction, dans la vie de Marithé... Carole et Marithé, les 2 protagonistes du 5e long-métrage d'Anne Le Ny, toutes 2 au cœur d'une "amitié" qui s'emballe et agrège l'entourage dans une valse-confusion des sentiments où tournoient des appétits gourmets. Qui manipule ? Qui est manipulée ? Dans l'imbroglio de ce trouble jeu mal balisé où chacune s'englue dans ses mensonges, il ne faut pas trop chercher la vraisemblance. Même le logiciel de l'Afpa y perd son latin, qui veut obstinément faire de Carole une fauconnière... Le scénario, bien qu'un poil prévisible côté romance, réserve quelques situations cocasses. Le rythme est parfois mollasson mais les dialogues sont bien écrits et les acteurs appliqués. Roschdy Zem apporte son jeu sobre à Sam, le chef propriétaire du "Moulin Blanc". Karin Viard, dans la peau de Marithé, franchit avec gourmandise la ligne jaune par la voie des papilles. Mais c'est surtout l'interprétation d'Emmanuelle Devos qui m'a séduite. 7 ans après, la comédienne à la beauté singulière retrouve la réalisatrice de "Ceux qui restent". Carole, son personnage, a l'audace des timides. Tout en nuances, elle donne une vraie épaisseur à cette héroïne à la vie bourgeoise, qui somatise en rêvant d'autre chose, tourmentée par la culpabilité et les affres des choix définitifs.