Jean Pierre Mocky est un phénomène dans le monde du cinéma : auteur d’innombrables films, il a touché à tous les genres, et sauvegardé son indépendance en créant sa propre structure de production, en achetant même des cinémas plus ou moins vétustes, où ses films sont au moins assurés d’être projetés, et qui voisinent avec la sélection d’œuvres qui lui conviennent.
Caustique, iconoclaste, il allie depuis toujours un humour provocateur, une description dévastatrice de notre environnement social, un portrait ironique de ses concitoyens. Ceci joint à un caractère souvent imprévisible selon les circonstances et son humeur. Ce qui ne l’empêche pas de s’entourer des plus grands noms d'acteurs et actrices connus qui le suivent plus par amitié que dans l’espoir de luxueux cachets : on trouve autour des tables du café du « Renard Jaune » Richard Bohringer, Claude Brasseur, Philippe Chevallier, Béatrice Dalle, Frédéric Diefenthal, Dominique Lavanant, Jean Francois Stévenin, et Michael Lonsdasle comme meneur de jeu tout à fait inhabituel.
Autre caractéristique de son talent, visible dans le « Renard Jaune » : le tournage du film a duré une semaine, autrement dit trois fois rien, d’où l’impossibilité de multiplier les prises et les détails de mise en scène. Le décor est planté, un café-restaurant dans un quartier presque campagnard, où tout le monde se connaît, a ses habitudes, se jalouse, est au courant de ce qui intéresse tout le monde. Il y a en particulier Charles Senac, écrivain connu, agressif, odieux, mais dont certains admirent l’œuvre. Après une soirée agitée, il est retrouvé dans son appartement, à deux pas de là, mort, probablement assassiné. Le commissaire de police chargé de l’enquête prend ses quartiers au "Renard Jaune" et remarque que tout le monde aurait eu des motifs et des circonstances pour être le meurtrier. Enfin presque tout le monde… L’histoire se tient, le scenario est solide et aboutit à un dénouement assez imprévu. Mais ce qui est remarquable, c’est la façon dont chacun et chacune des grandes figures de l’écran parvient à « faire son numéro » à sa manière, tout en se fondant dans l’ensemble de la distribution. Ce long métrage s’inscrit dans la grande tradition du bon vieux cinéma français qui, avant que la Nouvelle Vague ne vienne le bousculer avec les films d’auteurs, connut ses heures de gloire grâce au « cinéma d’acteurs ». Jean-Pierre Mocky a réussi à maintenir cette tradition, mais avec une personnalité, une verve et une étonnante capacité à s’adapter à l’air du temps. Quoi qu’en disent ses détracteurs, qui raillent ces improvisations, la liste des films de Mocky dont tout le monde se souvient mérite qu’un hommage lui soit rendu. Ce « Renard Jaune » en donne l’occasion.