L'efficacité redoutable de ce harcèlement moral alterne la séduction et les vexations. Tandis que Charlie s'accroche et court après le respect que lui doit son bourreau, l'habileté de celui-ci fait mouche à chaque réplique.
Le film, plus intéressant qu'un essai intellectuel, à mon avis, montre combien la folie découle de la violence, contrairement à ce que dit la psychanalyse qui y voit fantasmes et angoisses en niant le réel. Il nous renseigne par extension sur le fondamentalisme contre lequel nous nous insurgeons sans voir que nous continuons à mépriser ces personnes rendues folles par notre attractivité excessive, l'occident étant en avance temporellement sur l'orient, séducteur et expulseur en même temps. On y voit la problématique psychiatrique et les meurtres passionnels. Charlie est si impuissante, si abrutie devant les atrocités verbales de son bourreau adoré qu'elle en devient
violente physiquement et sera diagnostiquée folle après la fin du film
. Le thème de la passion est évoqué au début de l'histoire, en cours de philosophie de terminale, par la future victime en des termes qui montre qu'elle est bonne élève mais qu'elle ne sait pas ce qu'elle dit.
Il faut attendre que l'entourage de la victime s'aperçoive qu'elle a tué son bourreau pour que celle-ci se mette à **respirer**. Le dernier plan est magistral : dès que le cri de la mère découvrant le cadavre est entendu, validé, la
suffocation se calme, elle ferme les yeux, et, soudain, regard caméra. Générique.
J'ai rarement ressenti plus d'empathie pour un personnage, pourtant je suis un homme et c'est une jeune fille. J'ai souffert en même temps qu'elle. Mais j'aurais trouvé les mots devant son ancienne camarade de classe, j'aurais dit : "Je n'en peux plus... elle me manipule... je ne sais plus où j'en suis... je suis désolée de t'avoir fait ça... tu ne m'en veux pas j'espère... j'ai besoin d'aide" Et là l'ancienne camarade aurait fait quelque chose. Mais voilà : la victime est abrutie et n'arrive plus à parler. Elle ne peut plus prendre sa respiration pour vocaliser ni verbaliser. Elle ne peut que montrer qu'elle perd son souffle en simulant un épuisement en classe de sport, quoique la simulation soit réelle ("mentir-vrai").
En ce qui me concerne, j'ai été victime (de mon père) et agresseur (d'une femme). Il est très difficile d'arrêter d'agresser parce que c'est trop bon et que la victime ne demande que ça. On se dit qu'on devrait arrêter pour ne pas faire trop souffrir mais la sensibilité de la victime s'aiguise d'autant plus qu'on l'épargne et qu'elle désire être épargnée, vérifiant sans cesse que la paix soit durable. Mais au moindre mot qui dérape, son cœur s'emballe et la méchanceté renaît, pleine de désir de faire souffrir, chez le harceleur.
J'ai pourtant arrêté en coupant court nettement à mon propre comportement, alerté en cela par les ouvrages de Marie-France Hirigoyen avec laquelle je suis d'accord sur les faits, mais pas l'interprétation psychologique. Je ne crois pas que le pervers soit un vampire qui s'ignore ou un "psychopathe sans symptômes" ce qui ne veut rien dire, ni qu'il refoule sa souffrance. C'est le chat qui s'amuse avec la souris, voilà tout. C'est un passe-temps. Et c'est de plus en plus facile. Les relations humaines sont toujours plus simples que ce que la psychologie le dit avec des grands termes, et la fiction est souvent supérieure à l'intellectualisme aux concepts désincarnés. C'est pourquoi je salue l'aspect visionnaire de ce film de Mélanie Laurent.
La dernière scène où Sarah inverse les rôles et se fait passer pour la victime est un couronnement paroxystique. C'est comme l'officier-bourreau des Sentiers de la gloire de Kubrick, qui se plaint d'être un bouc émissaire
!
A voir dès que possible, telle serait ma recommandation.