Enthousiaste, je suis allé à l’avant-première niçoise du dernier film de Robert Guédiguian, organisée par l’association A.D.N. C’est-à-dire que je considère Guédiguian comme l’un des meilleurs réalisateurs de notre temps, certainement celui qui met le mieux en lumière tout ce qu’il y a de beauté en l’Humanité. Il n’y a aucune de ses réalisations qui n’ait pas réussi à me tirer des larmes. À l’exception d’Au fil d’Ariane, qui sortira en salle le 18 Juin 2014. C’est pourquoi je me permets ce préambule, pour vous dire, de vous jetez sans aucune hésitation, corps et âme, dans la filmographie de ce grand monsieur, pour qui l’idée commune n’est pas morte, et qui continue après trente-deux ans après ses débuts à faire vivre le rêve avec la même troupe. Gérard Meylan, comparse depuis l’origine, était présent pour partager ces impressions sur le film.
Ariane, le jour de son anniversaire, se retrouve seul, après que toute sa famille, et ses amis les plus proches, aient annulé leur venue. Déçue, elle prend sa voiture, et part se perdre en ville. Au hasard de son errance, elle rencontrera Denis (Gérard Meylan), un tenancier de restaurant au grand cœur, mécène à sa manière de Jack (Jacques Boudet), un poète excentrique se prenant pour un Américain, et de Martial (Youssouf Djaoro), ancien gardien de zoo aux nuits hallucinées et hantées par ses anciens pensionnaires. Sur son chemin, on croisera également Jean-Pierre Darroussin, en chauffeur de taxi, amateur d’opéra grincheux, et le jeune couple formé par Adrien Jolivet et Lola Naymark.
Au fil d’Ariane s’ouvre sur une drôle de scène en modélisation 3D, rappelant les démonstrations numériques des projets architecturaux. Une entrée en scène, faisant de la banlieue parfaite où vie Ariane, un lieu froid et sans vie. Juste après ce moment glacial, nous retrouvons justement Ariane dans son salon, seule. Guédiguian veut peut-être nous signifier, que malgré tout le confort moderne, nous pouvons être terriblement seule, dans la solitude froide de nos intérieurs. Malheureusement, cet effet initial va perdurer pendant le film, et l’on n’arrive pas à s’attacher aux personnages. Dans le cinéma de Guédiguian, les personnages sont rarement parfaits, mais leur humanité profonde inspire un respect et une empathie qui vous parle, directement, au plus profond du cœur. Cette fois-ci, Guédiguian prend une direction différente qui désarçonne.
Ici, les premiers contacts qu’Ariane vit avec la troupe du restaurant sont assez désagréables. Elle n’est pas vraiment bien accueillie. S’ils se révèlent plus tard, solidaires et fraternels, cette ambiance première nous donnerait plutôt l’envie de ne pas y revenir. Denis semble proche de ses sous, Jack n’écoute que lui, et finalement, Ariane se retrouve seul, sans que personne n’accepte de la raccompagner en ville.
C’est en y revenant par hasard, pensant, et c’est incongru (au vu de l’accueil initial), que Denis paiera sa course de taxi, qu’Ariane à la nuit tombée, décide de rester dormir sur place, et de ne plus partir.
Dans un rêve éveillé, entourée de personnages probants mais englobés d’une certaine irréalité, Ariane déambule dans cette fantaisie de Guédiguian, comme il aime l’appeler. Elle change peu à peu les choses, transformant les autres en se transformant elle-même, elle met en application l’idée que rêver, c’est déjà refonder le monde. C’est une idée centrale dans l’œuvre de Guédiguian qui pense que l’idée communiste n’est pas morte, et que les utopies ne sont pas des impasses, mais bel et bien des devenirs en cours de réalisation. Il n’y a que deux choses réellement importantes en ce bas-monde, déclare-t-il dans A l’attaque : la lutte des classes et la sexualité. Le fil conducteur d’Au fil d’Ariane, c’est surtout le respect des morts, et de leur sépultures, la nécessité souveraine de respecter et de faire vivre les rites de passages. Chez Guédiguian ressort toujours ce double-intérêt pour les aspirations humaines universelles, et la part de sacrée qu’elles convoquent.
C’est particulièrement parlant, vers la fin du film, lors du spectacle de théâtre au Frioul, où les spectateurs débarquent de la navette, et s’avancent, sous le vent, comme en pèlerinage. Dans cette optique, la fascination morbide de Martial pour de jeunes animaux enfermés dans des bocaux formolés ne sert pas le propos. Leur immersion, leur enterrement immergé, malgré la symbolique très forte, n’amène aucune émotion. C’est un peu oublié le règne des vivants au profit des morts. Et Martial fait davantage l’effet d’un illuminé retors qu’un pauvre hère. Sa véritable souffrance, est dévoilée, au détour d’une intrusion d’Ariane lors d’une de ces crises. Il vit entouré de souvenir de Douala, où il ne peut retourner, à défaut de ne plus toucher sa retraite.
Moins touchant qu’à l’accoutumé, les personnages d’Au fil d’Ariane s’effacent au profit des grandes figures convoqués par le cinéaste. Il semble que nous soyons face à un film prétexte, ou Guédiguian lui-même s’efface, pour laisser place à des hommages (qu’il appelle joliment des révérences) constants aux multiples héros de son panthéon personnel : Pasolini, Tchekhov, Brecht ou encore Sartre. Tous repris tels quels dans la bouche de Jack. Et aussi, à Ferrat, que Denis lance régulièrement sur sa platine. Et bien sur, à travers lui, à Aragon. Le film étant centré autour d’Ariane, nul autre poète n’aurait pu mieux illustrer le film tant il exalte la Femme et l’Amour. La chanson la plus à propos est d’ailleurs Que serais-je sans toi ?, sans aucun doute.
Au fil d’Ariane reprend et distille de grands thèmes centraux de l’œuvre de Robert Guédiguian. Les multiples niveaux de lectures sont inhérents à ce type de cinéma propre au conteur marseillais. Ariane vit une histoire fantasmée, où les rôles s’inversent, ou plutôt se mélange, un instant de rêverie, ou la fantaisie remet finalement les choses à la place qu’elles devraient occupées dans un monde plus solidaire et fraternel. Un seul regret, au final, après la projection se fait jour, on ne s’attache pas à des fantasmes.
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