"Tant qu'il y aura des hommes" est à prendre avec des pincettes.
Tout d'abord parce qu'il s'agit d'un film mythique, reconnu comme tel, vendu comme tel, présenté comme tel par tout cinéphile digne de ce nom. Ensuite, car il traite d'un sujet mâché et remâché, évoqué dans des dizaines d'autres œuvres à travers le monde : la guerre, et plus précisément, la Seconde Guerre mondiale. Enfin, parce qu'il use de l'arsenal hollywoodien habituel, à savoir une capitalisation forcée sur une brochette d'acteurs populaires (Lancaster, Sinatra, Kerr, Reed, Clift) et un réalisateur apprécié (Zinnemann, qui dirigea également "Oklahoma !", "Le train sifflera trois fois" ou encore "Horizons lointains").
Mais à l'instar d'un bon paquet de sucreries, il se déguste sans modération, même soixante ans après sa sortie. Le jeu est millimétré, les plans s'alternent élégamment, le cadre vaut le détour. Sur les paradisiaques plages d'Hawaii, Kerr et Lancaster échangent un baiser passionné, et font entrer le film dans la légende.
La légende des soldats confrontés à l'horreur de Pearl Harbor, évènement tragique s'il en est, recréé à grands renforts de piqués et de bombardements aériens, de figurants paniqués courant à chaque coin du plateau et de braves héros laissant derrière eux le confort d'une vie sûre pour livrer leur corps au combat. La fatalité. Voilà qui résumerait le tout. Fatalité de l'amour adultère vécu par une épouse de militaire avec un collègue de ce dernier, fatalité d'une société où les poings règlent les problèmes, où l'alcoolisme et les déceptions guettent le promeneur solitaire dans les ruelles sombres qui voient la violence tuer et blesser, où le continent semble si loin, au-delà de l'horizon.
Certes, "Tant qu'il y aura des hommes" reste un mélodrame de guerre, avec la part de testostérone et d'autorité qu'il comporte. On est à cent mille lieues d'un "Gilda", et même à l'opposé de l'une de ces grandes aventures oniriques dont Curtiz était sans doute le roi (Robin des Bois, Captain Blood, ...).
On y apprend le respect, on y comprend la douleur et l'obéissance, on y observe une caserne évoluer, dans un monde masculin, aux côtés de femmes en forme d'apparitions enchanteresses, destinées à égayer le quotidien d'engagés désœuvrés. Bien entendu, l'ensemble ne peut en apparaître que sexiste. Mais les circonstances ne l'exigent-elles pas ?
Grand film, certainement. Très bon film, plus certainement encore. Un incontournable, qui semble vieillir aussi peu que les courbes avantageuses de Deborah Kerr, ici au sommet de sa carrière, et la gouaille confuse de Frank Sinatra. La fatalité donc. On ne peut qu'aimer ce film, fatalement.
4,5/5