De ces jeunes cinéastes talentueux, J.C. Chandor est sans doute l’un des plus talentueux. Après le monde de la finance, thriller acéré, et l’errance en mer, survival intensif, le réalisateur revient pour livrer, à mon sens, son meilleur film jusqu’alors. A Most Violent Year, polar exigeant prenant à contre-pied les grandes fresques new-yorkaises sur le voyoucratie, est de ces petits instants de grâce qui prouvent que le cinéma peut encore briller là où on ne l’attend pas. Fidèle pourfendeur des vices et aléas du marché du travail, consciencieux narrateur, J.C. Chandor dresse le portrait d’un homme droit, entrepreneur de la Grosse Pomme qui s’efforce, en dépit de tout, de rester droit, de ne jamais s’égarer sur les terrains vaseux de l’illégalité alors que son entreprise ne cesse de croître. En pleine expansion, les malheurs arrivent, les braquages de ses camions de livraison, tandis qu’un procureur semble persuadé d’un blanchiment d’argent de la part de l’entreprise familiale. Jusque-là, rien de bien extravagant. L’intérêt du film, comme le dit si bien son titre, est que c petite drame professionel se déroule dans le New-York du début des années 80, haut lieu de la corruption, du crime en tous genres et du vice.
Rester intègre, droit dans ses bottes, conduira-t-il notre entrepreneur méritant à la gloire? Son obsession pour la légalité sera-t-elle payante? Tant d’intelligentes question que pose J.C. Chandor tout en bâtissant méticuleusement son polar peu commun. Le final, certes un peu téléphoné, offrira pourtant une réponse concrète à cet état de fait. Le marché du travail semble alors s’apparenter à une jungle et seuls les plus forts y survivront. Pour corser l’affaire, le femme de notre patron d’entreprise s’accorde à ne pas suivre exactement la même voie toute tracée que son mari, agissant dans l’ombre, notamment comme moteur à la rébellion, une rébellion à laquelle le personnage principal ne cèdera pas. Trompé, malmené, endetté, emprunté, notre homme se battra toutes tripes dehors pour sauvegarder les apparences, pour agir selon sa ligne de conduite et pour finalement tenter de gagner au petit jeu du pouvoir, en suivant les règles établies. Passionnant.
Par-dessus le marché, le réalisateur, bien qu’un peu maladroit en terme de contraste, c’est un strict défaut technique imputable au directeur de la photographie et au teint sépia préconisé, livre un film très beau. Le New-York du début des années 80 est immersif, impressionnant de réalisme, nous replongeant avec un certain bonheur dans les œuvres majeures du passé. Costumes, véhicules, décors urbains, tout y est formidable. Par ailleurs, les prises du vues sont elles aussi audacieuses. Le film peut également se targuer de posséder un casting cinq étoiles, sans stars éblouissantes, mais seulement composé de talents d’aujourd’hui et de demain. Si l’on en présente plus Jessica Chastain, monstrueuse actrice caméléon, la palme revient à Oscar Isaac, acteur latino déjà plus qu’entrevu chez les frères Coen. Le comédien endosse ici le costume d’un homme charismatique, ersatz, sans doute, d’un Al Pacino de jadis. Son visage, son allure, cadrent parfaitement à l’époque prédéfinie, les années 80, et son jeu, nuancé, calme et réaliste, fait de son personnage une véritable révélation.
Bref, au petit jeu de la critique d’un tel film, difficile de ne donner que son avis subjectif. Pour autant, les amoureux du polar d’antan, moi-même en faisant partie, ne peuvent passer à côté de ce film important, au sujet certes moins éblouissant que le crime organisé traité de l’intérieur, mais pourtant d’une légitimité sans failles. Au passage, la bande-son, d’une toute beauté, offre de très beau moments, même concis, de contemplation, prétexte à démontrer une fois encore, dans une certaine forme de lyrisme, l’immortalité de la ville de New-York, ses légendes, son ampleur et ses millions de facettes destructrices ou bienfaitrices. Oui, le marché du travail est une jungle, et J.C. Chandor nous le prouve une nouvelle fois après son formidable mais très exigeant Margin Call. A découvrir d’urgence si cela n’est pas encore fait. 17/20