Formidable film qui fait dire que, oui, le thriller américain se porte mieux que jamais; évolue, prend des formes originales, s'appuie sur des problèmes sociétaux.
Le film de J.C. Chandor porte le genre sur des sommets. D'abord par la personnalité atypique du héros, personnalité ambigüe et passionnante. Abel Morales est un négociant en fuel newyorkais. On devine qu'il est parti de pas grand chose (Anna, sa femme -ravissante puisqu'il s'agit de Jessica Chastain plus sophistiquée et carrément moins rousse que d'habitude- est d'ailleurs la fille d'un petit gangster de Brooklyn), mais son ambition est sans limite. Il veut devenir le plus grand, et pour cela acquérir un terminal qui lui permettra de s'approvisionner directement par mer. Mais en même temps, dans un milieu totalement pourri, il veut rester propre, par un curieux mélange de morale et de pragmatisme: sur des malversations, on ne peut pas construire du solide. Abel est interprété par Oscar Isaac, un physique à la Al Pacino en plus sobre, dont on se demande comment il a pu mettre temps de temps pour exploser, car ce n'est quand même pas un perdreau de l'année....
Tout est contre lui. On attaque ses camions, les conducteurs sont tabassés, les assaillants s'enfuient avec la cargaison et volent son contenu. Le jeune mexicain dont il est un peu le parrain est blessé et traumatisé. On rôde autour de sa maison. Le FBI s'intéresse à ses comptes; il est suspecté et accusé de fraudes. La dessus, les banques le lâchent. Et le vieux juif à papillotes qui était vendeur du terminal ne veut pas reculer d'une semaine la date de la transaction..... On a donc deux heures pour savoir si Abel va s'en sortir sans se départir de son calme "je vais arranger ça" qui énerve considérablement Anna, sans déroger à ses principes, sans accepter que ses chauffeurs soient armés (car ça ne peut que mal finir), pris entre le syndicat des camionneurs, ses concurrents, sa femme qui le trouve trop mou, son comptable qui userait bien de procédés moins catholiques... et les flics.
A part la très jolie maison où le couple élève ses filles dans une banlieue campagnarde, les décors sont sordides: voies ferrées désaffectées, entrepôts, cuves rouillées..... les négociations se font au cours de rendez vous dans des endroits pas possibles; on est toujours au milieu de nulle part; l'image est crasseuse, poussiéreuse, nauséeuse -ou somptueuse lorsque se dégage un large horizon de skyline. Le rythme est lent -la poursuite la plus frénétique se fait à pieds! Tout cela crée un climat fascinant, inquiétant, bizarre. On a peur, mais c'est une peur douce, feutrée.
C'est un film magistral. Gone Girl, White Bird, Night Call.... On est gâtés en ce moment! Dans cet exercice de style qu'est le thriller, voilà une génération de grands stylistes. A voir, absolument!