Africaïoli de Christian Philibert.
Et voilà que des Espigoulais (ou les Espigouliens – le débat reste ouvert-) vont à la rencontre d’autres tribus. En Afrique ! Quelle idée ! Aïoli Africa ! Juste pour voir, parce que les billets sont en promo. Momo, t’es le meilleur pour faire des affaires ! Ils y vont avec ce qu’ils sont : des gens simples aux idées simples, nourris au départ de ce que l’on leur a dit, de ce que l’on leur a montré. On pourrait penser que ce sont des préjugés. Mais ils sont moins formatés que ça à Espigoule. Et c’est là que la magie du film effectue son contre-pied. Comme un footeux de talent. On croit aller à droite et on se fait embarquer à gauche. Tir gagnant et pleine lucarne. Le but est atteint. On voyage, mais pas où on croyait aller ! Chez les hommes et les femmes de bonne volonté, dans un Sénégal de la vérité quotidienne filmée telle quelle est à travers de regard décidément humaniste d’un plombier reconverti et d’un patron de bistrot à la retraite, cornaqués par un taxi-brousse déjanté dignement triste derrière un sourire charmeur. On y trouve de l’amour. De la tendresse aussi, jamais de compassion condescendante, ni de misérabilisme qui bien souvent caractérise le regard post-colonialiste du cinéma commercial. Le régionalisme des personnages qui sont nos guides permet le partage. Entre gens plus ou moins loin de Paris, il y a comme des liens d’exclus. Des marginaux de la pensée lointaine qui se découvrent une proximité. On s’y aime pour ce qu’on est. Des gens qui vivent leur vie pas toujours drôle mais qui l’enjolivent de leur humour et de leur drôlerie intérieure. Alors on devient noir de boue, on s’aventure pour l’aventure dans des déconnages salutaires où le destin des uns et des autres se fusionne, où on se découvre, où on se respecte. Africaïloi n’est pas un film. C’est un poème, une ode à la fraternité. Un partage fructueux des recettes de savoir bien vivre et aussi bien manger. Ce n’est pas mafé contre aïoli, c’est mafé plus aïoli. Un régal ! (attention, faut pas les mélanger, non plus – à déguster séparément !)
Et non, le grand savoir du blanc ne peut rien apporter, pas même réparer une télé récalcitrante. Mais ils ne sont pas blanc, ceux là : ils sont Espigoulesques. Alors, loin des clichés de ceux qui nous vendent dans un cinéma dérisoire de mépris un exotisme malsain qui nourrit notre désir de supériorité et de bien pires pulsions – si fréquentes aujourd’hui- voilà un OVNI cinématographique au ras de nous, au ras des hommes. Une caméra discrète et légère, présente mais pas encombrante, témoin mais pas accusatrice, pour laquelle le terme d’objectif prend tout à coup son multiple sens. Et bien sûr n’oublions pas cette musique si bien collée à l’image qui nous fait bouger qui nous emmène dans la danse, qui nous emporte dans le film. Invités à se lever pour aller avec eux.
Et bien non, je n’irais pas au Sénégal pour mes prochaines vacances. Je n’ai pas les sous et puis, grâce à Christian, j’y suis déjà allé. Désolé, Momo, toi le roi de la bidouille, tu t’es fait avoir : mon billet était en super promo : 4 euros ! A ce prix, j’ai fais un voyage bien loin des escroqueries pittoresques vantés par les dépliants. J’ai eu du rêve et plaisir. Je suis venu avec toi, je suis rentré chez les gens, à l’intérieur des gens non seulement de là bas mais d’ici aussi. Je me sens un peu plus un homme. Je me sens un peu eux. Du coup, j’ai envie de bonheur et de le partager. Merci, les gars !
Emile Lehat.